Trois qualités d’Hubert Haddad : le sens de l’esthétique, l’érudition et l’imagination.

Si ce ne sont les trois, les deux premières se font rares chez les contemporains : la préoccupation stylistique a été renvoyée à un effort d’arrière-garde, quand la connaissance des auteurs s’avère chose accessoire, sinon superflue, pour devenir écrivain.

Du moins, pour ce qui concerne ce premier aspect, considère-t-on que le beau style est le style simple ; certains ont évoqué les ravages de l’écriture artiste (hypertrophie lexicale, syntaxe malmenée, phrases enflées, etc.) mais il serait plutôt temps d’évoquer les ravages de l’écriture blanche (atrophie lexicale, syntaxe basique, phrases sujet-verbe-quelquefois complément). Hubert Haddad réhabilite donc dans une large mesure une conception ancienne de l’esthétique de la prose : souvent brillant, dispensant termes littéraires et vocabulaire spécifique , volontiers métaphorique, parfois complexe et ampoulé (revers de la médaille), mais en fait assez peu. L’auteur s’épargne souvent l’excès de complexité en cadenassant sa prose dans un temps simple (le présent) et des phrases brèves pour la plupart. La difficulté reste donc surmontable pour tout un lecteur.

L’érudition, à présent : là encore, Hubert Haddad n’hésite à pas à nous faire part de ses découvertes dans le champ de la littérature, empruntant aux classiques et aux modernes, aux français et aux étrangers. Prétexte à ces citations aussi diverses que foisonnantes : nous lisons le journal d’un écrivain – lequel se permet donc tout, et ne saurait se contenter de narrer linéairement quelques événements d’ailleurs peu nombreux de sa désormais recluse – car bretonne – existence. Mais, quand l’accumulation est appréciable dans un format tel que celui du « Nouveau Magasin d’écriture » et sa suite (ouvrages tous deux forts recommandables, et qui donnent à prendre la mesure de l’érudition du sieur Haddad), ici, dans le cadre romanesque, où l’on attend une intrigue resserrée, on a tendance à regretter que ces emprunts ne soit pas plus rares, distillés et non pas dispensés.

L’imagination, enfin : qui connaît un minimum la pensée de l’auteur sait qu’il s’en est fait l’un des hérauts. Les deux ouvrages précités (« Le Nouveau… » et le « Nouveau Nouveau Magasin d’écriture ») ne sont rien d’autres que des usines à rêve. De ces incitations théoriques (« Rêvons, rêvons… » sur papier, s’il vous plaît) les romans d’Hubert Haddad constituent donc l’application pratique. Mais c’est là que le bât blesse : si l’imagination est une qualité évidente, la seule imagination, sans structure, sans propos, sans logique, sans orientation, sans démonstration, sans finalité, ne saurait aboutir qu’à un brouillon d’œuvre, à un roman très imparfait. Faute de brider l’invention, celle-ci est effrénée mais alors, tout se délite : en trois cents pages, que d’intrigues, mais finalement toutes si maigres ! Sans les coupes pratiquées dans chacune d’elles – qui tiendrait sinon sur 30 ou 40 pages – l’on n’aurait entre les mains qu'un simple recueil de nouvelles vaguement reliées par la présence d'un narrateur fantôme. Mais ici, c'est pire : il n’est qu’un enchaînement d’anecdotes, servi de la manière le plus rebutante possible, car le plus confuse. Des découpages aberrants (et qui ne suffisent pas à rendre à l’œuvre un caractère impressionniste, ni même éthéré ou brumeux), lesquels signalent un manque d’idée suivie, donnent d’ailleurs lieu, sans paradoxe, à un récit en continu, sans chapitre. Mieux valait cela, dira-t-on, qu'une fausse composition…

Plus grave, les personnages sont d’artifice. S’avérant des spectres (ni épaisseur, ni couleur), le peu de place occupé par chacun aurait nécessité une densification de la prose autour de caractères psychologiques, pour en arriver à une substance. Ici, Hubert Haddad se complaît dans une succession d’anecdotes, ne parvenant, aux termes de trois cents pages, à ne convaincre par aucun portrait : ni la japonaise mangée de tatouages, ni la cantatrice mystérieuse, ni la lectrice enquêtrice… ni même l’écrivain narrateur, aucun de ces personnages-là, clichés, n’auront vécu. Du moins, dans mon esprit. D’autres les auront-ils mieux sondés, mieux aperçus ?
ento
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le 26 janv. 2015

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