HHhH
7.5
HHhH

livre de Laurent Binet (2010)

"Je suis en train d'écrire un infra-roman"


"Je crois que je commence à comprendre: je suis en train d'écrire un infra-roman" chapitre 205



C'est comme dans un western - d'ailleurs, c'est ce que semble penser Laurent Binet, pour peu qu'il soit réellement le je narrant.
D'une part, Rheinard Heydrich dit "La Tête blonde", dit "Le Bouche de Prague", dit "La Chèvre", dit "L'Homme le plus dangereux du IIIe Reich", dit "HHhH" et son géant chauffeur nommé Klein, c'est à dire Petit ... C'est fou ce que les gens sont méchants ! Ils serpentent dans un virage dans un Mercedes sombre, verte ou noire.
D'autre part, Jozef Gabĉik & Jan Kubiš, deux parachutistes Tchécoslovaques, Laurel et Hardy tragiques, venus Sten et bombe aux poings mettre un terme au Protectorat du grand Blond avec une voix de fausset.
Un face à face historique, le temps en arrêt, suspendu dans un entonnoir d'atermoiements plus ou moins justifiés.
C'est comme dans un western spaghetti !


Et, entre eux, Binet, Laurent Binet ... ou, du moins, un je narrant que l'on peut rapprocher de lui.
Et son amie au nom d'hôtesse de l'air.
Laurent Binet assis entre les deux groupes belligérants, à même le sol, sa pile de livres et de DVD sur l'Opération Anthropoïd et sur Heydrich, Natacha et Fabrice (Humbert ?) à ses côtés, comme trois enfants curieux observant l'événement, ignorant le passé, conjuguant au futur, précédant de "moi" toute conversation et donnant leur avis qu'ils veulent le bon pour critiquer le monde avec désinvolture.


Et comme un cortège vindicatif et accusateur, choeur de tragédie, les fantômes d'un passé pas assez souligné. Jusqu'à la barge finale, traversant l'éternité: l'éternité d'un sujet dont Laurent Binet ne ressortira que pour plagier L'Homme qui tua Roland Barthes de Thomas Clerc (preuve que, quand cela lui chante, Laurent Binet peut aussi se foutre des vaincus).


HHhH devait en réalité Opération Anthropoïd: Heydrich n'en est pas le héros mais le splendide antagoniste, les héros sont en réalité Jozef Gabĉik & Jan Kubiš.
HHhH devait être un roman, devait être un récit historique, devait être ... et n'est pas. HHhH est un roman performatif, en cours d'écriture, qui s'écrit pour mieux reconnaître qu'on ne finira jamais de l'écrire, qui se tisse, se détisse, mélangeant son fil rouge avec mille fils à la fois recensions d'autres livres de toutes natures, critiques de films, digressions sur les personnages secondaires dans l'esprit unanimiste de Jules Romains.
HHhH, c'est avant tout une voix. Une voix moqueuse qui confesse ses manies, parle figures de style, alterne récit et notes sur son récit et tente quelques saillies dignes d'Audiard: "A ce degré de politique, la trahison devient presque une oeuvre d'art."


On aimera, on aimera pas.
On s'étonnera de voir parler d'hypotypose face à une prosopopée.
On s'amusera, puis on s'agacera, puis on oscillera entre l'un et l'autre en voyant Binet narrer et se débiner inlassablement, en donnant dans la susceptibilité de midinette.
On se plaira à suivre un passionné de recherche nous faire la visite guidée du musée de ses pensées, de ses savoirs.

Frenhofer
7
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le 21 mars 2021

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Frenhofer

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