À ma gauche, Jack Barron, présentateur vedette, empêcheur de tourner en rond et pourfendeur des injustices en prime time devant cent millions de téléspectateurs. À ma droite, Benedict Howards, industriel tout-puissant qui règne sur la finance, la politique et les médias. Avantage Howards, qui dispose du bien le plus précieux, celui auquel personne, si intègre soit-il, ne peut résister : le secret de l’immortalité. Personne sauf Jack l’incorruptible, qui n’est pas près de la fermer…


Jack Barron et l’éternité est une œuvre centrale de la SF des années 60-70, emblématique de la New Wave. Ce mouvement littéraire, originaire des Etats-Unis, rassemble des auteurs (la plupart du temps publiés dans la revue New Worlds de Michael Moorcock) qui entendaient aborder des thèmes plus contemporains et introduire plus de politique et de psychologie dans la SF. Ils n’ont par ailleurs jamais hésité à explorer des formes stylistiques moins conventionnelles.


Ce roman est avant tout une œuvre d’anticipation politique. Le milliardaire Benedict Howards a trouvé le secret de l’immortalité mais veut le réserver à une élite suffisamment riche pour financer les traitements qui, à ce stade, restent mystérieux. Il entend ainsi faire élire le prochain Président des Etats-Unis, pour que celui-ci vote une loi l’autorisant à commercialiser son offre d’immortalité. Jack Barron est un présentateur tv très populaire, animateur d’une émission qui réalise des records d’audience grâce à son audace, n’hésitant jamais à attaquer les puissants. Il se retrouve pris dans un jeu politique instable, soumis aux pressions de ses anciens amis communistes, de Benedict Howards lui-même, de ses téléspectateurs, des différentes formations politiques, et de son ex-femme Sara. Courtisé ou menacé en raison de son immense pouvoir d’animateur de talk show, Jack Barron est le symbole du poids énorme des mass media. Mais entre les chantages, les tentatives d’assassinats, les complots et les tensions sociales, c’est bien la question de l’immortalité qui est dans toutes les têtes.


En digne représentant de la Nouvelle Vague, ce livre prend des libertés stylistiques tout à fait rafraichissantes, même si un peu datées aujourd’hui. Les récits du montage en direct des émissions tv sont particulièrement réussis, par exemple. Le ton général est léger, direct, et empreint d’un cynisme de chaque instant qui rend l’ensemble agréable et plutôt divertissant.


Malheureusement, le roman souffre aussi de défauts importants. Les personnages sont, pour la plupart, des caricatures exaspérantes servant des visions difficiles à avaler aujourd’hui. Sara en femme soumise et passive, alors qu’elle est représentée au début du récit comme une femme solide, émancipée et indépendante, et dans laquelle il est très difficile de ne pas voir le message « voilà ce qui arrive quand les femmes se détournent des hommes virils, charismatiques, riches et puissants ». Benedict Howards en super méchant à moitié fou qui veut l’immortalité, le pouvoir absolu, conquérir le monde et éliminer toute résistance. Toute bonne histoire se doit d’avoir un bon méchant, et ça n’est pas le cas ici. Et même le héros Jack Barron est insupportable de vanité, de mépris envers tout ce qui n’est pas lui, d’égocentrisme et d’arrogance. Pour un roman et un auteur censés représenter une vision moderne et progressiste (pour l’époque), c’est parfois indigeste pour un lecteur contemporain. La frontière entre le cynisme et de mauvais personnages est parfois ténue…


Faites également votre deuil d’une approche vaguement scientifique, ça n’est absolument pas le propos ici, comme souvent avec les romans de la New Wave.


Jack Barron et l’éternité a été nominé pour le prix Hugo du meilleur roman 1970. Il reste une lecture agréable et rafraichissante, même s’il a mal vieilli.


Norman Spinrad : Jack Barron et l’éternité – 1969


Originalité : 3/5. Il a marqué son époque mais c’est un peu plus compliqué aujourd’hui.


Lisibilité : 4/5. Une des raisons pour lesquelles la New Wave a changé la littérature de SF : un gros courant d’air frais au niveau du style.


Diversité : 3/5. Souvent répétitif, aussi bien dans le propos que sur la forme.


Modernité : 4/5. Des milliardaires à moitié fous enfermés dans leurs délires de toute-puissance mégalomane, des contre-pouvoirs médiatiques, des politiciens corrompus. Aux USA. Hum.


Cohérence : 3/5. Spinrad parvient à conserver l’équilibre pour amener son histoire à son dénouement, mais on flirte plusieurs fois avec la sortie de route quand même.


Moyenne : 6.8/10.


A conseiller si vous aimez la politique fiction et si vous n’êtes pas rebutés par une ambiance très sixties.


https://olidupsite.wordpress.com/2025/12/20/jack-barron-et-leternite-norman-spinrad/

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