Il a toujours été dans ma nature, et cela du plus loin que je m’en souvienne, de toujours chercher à comprendre, puis à mon tour créer des liens entre les différents objets, situations ou encore événements qu’il m’est donné de rencontrer. Ainsi, au cours de mon cheminement dans la découverte de la culture populaire que j’évoquais dans mon précédent post et dont je parlerais encore, je me suis intéressée à John Lennon, à sa vie, à son œuvre, et bien que les circonstances de sa mort ne fussent pas à première vue particulièrement intéressantes, elles m’ont néanmoins interpellée de par les circonstances extraordinaires durant lesquelles elle s’est produite. Ainsi, les grands amateurs des Beatles auront sans doute déjà compris d’où je veux en venir, et c’est bien sûr l’assassinat de John Lennon par Mark Chapman, le 8 décembre 1980. Paix à son âme. Mais ce qui mérite d’être mis à jour ici, c’est le fait - en apparence anecdotique - que l’assassin en question lisait l’ouvrage dont je vais parler aujourd’hui lorsqu’il se fit arrêter. Je ne vous cache pas que si j’ai décidé de me lancer dans la lecture de l’Attrape-Cœur (1951) de J.D. Salinger, ce fut dans un premier temps, avec la prétention de pouvoir ainsi m’immiscer dans l’esprit du tueur, de lire à mon tour un ouvrage à l’influence aussi notable sur l’assassin, qui a tant inspiré et été à l’origine de tant de controverses.
Cela dit, je rejoins Ariel Bisset qui dans une vidéo YouTube sur l’œuvre dont il est ici question, explique ce sentiment de pression qu’elle ressent, lorsque l’on en vient aux classiques, de parler de tout, et d’en parler bien. Mais il faut passer outre les insécurités liées aux problèmes de légitimité. En effet, les classiques sont de ces livres qui n’en finissent jamais de nous donner à élucider de nouvelles énigmes, et plusieurs relectures nous font souvent redécouvrir des références que l’on n’aurait pas saisies à première vue. Ce sont dans la plupart des cas des ouvrages très complets, et quand bien même je me lancerais dans une analyse précise et distillée, cela ne suffirait pas à en mettre en lumière les multiples aspects.
Si le bouquin n’en a pas l’air, c’est néanmoins un ouvrage d’une grande subtilité, de qui l’on a tantôt fait l’éloge, tantôt l’acerbe critique. C’est que bien souvent les lecteurs s’y engagent avec beaucoup d’attendus et surtout d’apriori, parce que c’est un classique. Il est donc tout naturel que vous soyez déçu si tel a été votre cas. Par ailleurs, il est de ces ouvrages que l’on étudie fréquemment en classe. Nous avons tous sans exception été confrontés à ces fameuses lectures cursives, que la contrainte de devoir lire rendait fastidieux et agaçant (je pense notamment à Antigone que j’avais trouvé ennuyant à mourir en 4e et dont je commence seulement quelques années plus tard à saisir et apprécier le message). Ainsi, si l’analyse scolaire peut (re)déclencher l’amour de la littérature (dédicace à mon professeur de lettres de 1ère qui y est brillamment parvenu), la plupart des retours de mes camarades au fil des ans ont été relativement négatifs à ce sujet. Alors, Holden, on aime ou on n’aime pas mais il est primordial d’au moins s’y intéresser, au vu de l’aspect révolutionnaire de l’ouvrage lors de sa parution.
Que dire donc de nouveau ? Il est certain que la plupart des éléments que j’apporte résultent des différentes influences dont j’ai subi le joug et qu’ils n’ont en ce sens pas une valeur fondamentale, puisque d’autres l’ont déjà vu et analysé au possible avant moi. Je me contenterais donc de quelques observations. Tout d’abord, c’est un ouvrage facile à lire, notamment par l’utilisation d’un langage très courant, voire parlé, qui permet réellement de suivre l’histoire de la perspective d’Holden Caulfield, le narrateur. Peu amateur de synonymes, les nombreuses répétitions de l’adjectif « phony » qu’on lui connaît rythment quoi qu’on en dise le récit. De même, on ressent une influence américaine assez présente, au vu des subtilités du langage adopté, mais aussi de nombreuses références à la culture américaine. Quant au narrateur, qui possède la plupart des caractéristiques de l’anti-héros, sa personnalité est à double tranchant : il est exaspérant et amusant à la fois. Toujours occupé à montrer du doigt les failles et les vices de la société, Holden paraît cynique et arrogant, en faisant un personnage plutôt antipathique, ce qui a surement contribué à rebuter certains lecteurs. Cependant, si la narration a tendance à être crue, elle n’en reste pas moins très minutieuse et permet au lecteur, et à plus forte raison, à l’adolescent de 17 ans qui sommeille en chacun de nous de s’identifier au personnage principal.
Beaucoup de thèmes sous-jacents aux YA novels y sont abordés, tels que la fin de l’innocence, grandir, remettre en cause le pouvoir établi, prendre son indépendance, penser par soi-même, ou encore construire sa personnalité/identité. En définitive, c’est la transition vers l’âge adulte qui est décrite ici. L’ouvrage faisant appel à des thèmes relatifs à l’adolescence, il semble donc logique que cette nouvelle inspire et résonne chez de nombreux adolescents mais pas seulement. En effet, l’usage de métaphores particulièrement évocatrices en fait à mon sens un ouvrage auquel il est facile de s’identifier. Et l’une des raisons pour lesquelles les métaphores sont si importantes dans les livres, c’est qu’elles le sont aussi dans la vie : on pense ici aux canards de Central Park qu’Holden visite de manière récurrente et dont il se demande où ils vont demeurer pendant l’hiver. On comprend qu’il parle aussi de lui, et c’est ce genre de passerelles entre fiction et réalité qui nous permet à nous, lecteurs, d’accéder à nos questionnements les plus profonds.
Les différents reproches faites à ce livre comme son insipidité, la valeur anodine de l’histoire (mais si le livre est à l’image de la vie, peut-être est-ce la vie qui est absurde) et la crudité de certains passages concernant l’alcool, la drogue, la prostitution, le suicide, ou encore la pédophilie, visent peut-être même à ce que nous nous questionnions sur des thèmes comme l’absurdité de la vie ou le passage à l’âge adulte. Est-il ici légitime de qualifier cet ouvrage de littérature existentielle ? Sans nul doute. Et de toutes les défaites qu’Holden a dû endurer dans son cheminement vers l’âge adulte, sa plus grande victoire, c’est peut-être d’avoir réussi à capter l’attention de notre monde alors que dans le sien personne ne s’intéressait à lui.