La complaisance d'avant-garde envers la débilitation adolescente et l' "autisme" à grande échelle

Livre choc à sa sortie, cet Attrape-cœurs était visionnaire. Et pour cause : des maux profonds et typiques de la post-modernité s'y retrouvent. Ce qui était alors un chamboulement est devenu aujourd'hui une banalité. Le héros est un petit adolescent banal mais mentalement égaré, privé de repères et de soutiens : livré à lui-même mais abruti par la société de consommation naissante et blasé de la vieille société hiérarchique à bout de souffle, il va totalement dévier.

Je lis parfois que ce héros serait un "petit con", un "pauvre type" ou autres joyeusetés. C'est un contresens et une mesquinerie. Voilà une perception peu charitable en plus de signer la suffisance de nabots sociaux tout fiers de leur intégration, tout peureux de réaliser la laideur de leurs vies et de leurs habitudes. En lisant ce roman on ne peut qu'éprouver une grande pitié pour ce jeune homme : il y a aussi une colère mais il faut en comprendre l'origine et il faut reconnaître que ce "petit con" ne la mérite pas, car c'est le contexte culturel et social dans lequel il se débat et essaie de grandir qui est la cause de son dysfonctionnement.

Le résumé nous dit que ce garçon "cherche des raisons pour continuer à vivre dans un monde hostile et corrompu", mais ce monde il l'a toujours été ! Et il ne l'est que plus lorsqu'on s'égare dans l'individualisme, la solitude et l'aigreur ! Le cynisme ou la distance ne sont pas des remèdes, ce sont des solutions de facilité pour les gens fatigués ou déçus, qui ont perdu leur courage et leur bonté originelle. Malheureusement dans ce roman le point de vue n'est pas global, il est enterré dans la tête du garçon, ce qui fait que la lecture devient peu à peu, certes poignante pour ceux qui s'accrochent, mais nulle en-dehors du niveau existentiel pur. On fait tout reposer sur ce jeune homme et son monologue intérieur sans l'en arracher et voir aux alentours. Finalement ce livre ne fait que parler aux autres jeunes égarés du même acabit, en leur donnant un exemple à leur mesure, sans leur ouvrir les yeux sur la réalité qu'ils partagent.

Car un tel repli sur le mental, une telle dérive "schizoïde" n'a rien de naturelle si elle existe en masse : en revanche elle est la bienvenue pour tous ceux qui veulent faire du monde une place remplie de gens démissionnaires. C'est croyez-moi bien plus efficace que de vouloir rendre les gens obéissants, ou même de fonctionner à la terreur : au moins ces gens repliés pourront faire quelques travaux valables et toute leur négativité reposera sur eux-mêmes (à eux la "responsabilité" et une culpabilité qui n'a pas de raison logique). Ils tourneront en boucle et ne s'éveilleront pas, sauf à leur monde intérieur ; et le monde extérieur, ils le regarderont avec un œil toujours plus déformé, morbide et moisi. Bien sûr il y a de bons côtés à cette tournure de pensée, elle permet de cultiver l'originalité, elle permet de creuser en soi ; mais que gagne-t-on à creuser lorsqu'on est pas équipé pour, ni même pour cerner ce qui se passe ? On s'effondre dans les abysses.

Là-dessus j'ignore où est la position du livre. Il me semble plutôt avant-gardiste sans prendre en compte l'importance de ce qu'il manipule, ce qui revient à profiter du courant qui va ou, en l’occurrence, qui monte. Avec de telles œuvres culturelles adressées aux adolescents, on encourage la régression, la morbidité et gomme tous les enjeux sociaux, libidinaux, affectifs, pour pousser les urgences et les voies naturelles vers la crise intime qui se consume elle-même. Avec de telles dispositions, dans la culture et la société, on donne la porte ouverte à tous ces pseudos autistes, Aspergers etc, qui ne sont jamais que des gens égarés qu'au lieu d'aider on couvre d'étiquettes médicales. Ne croyez pas que je les blâme, mon intention en est loin ! Même lorsqu'ils prétendent fièrement faire ce dont ils ont envie, les gens n'en restent pas moins tributaires de leur environnement et de la souillure qui la domine. Malheureusement les gens embrassent cette crasse en croyant se libérer et même bien souvent s'intégrer, se relier aux autres et au monde : il n'en est rien, ils ne font que s'avilir. Et quand des millions de personnes en viennent à prendre contact avec le monde en arborant leur badge "autiste", "inadapté" (ou assimilé - on leur souffle qu'ils sont géniaux parfois, pour mieux les encourager), on est proche de la psychose généralisée.