La traduction et la publication de l’unique recueil de nouvelles de Iain M. Banks au Bélial avait de quoi séduire les amateurs de l’univers de la Culture, qui attendaient de pouvoir lire à un prix enfin raisonnable la fameuse novella “The state of art”, publiée il y a quelques années aux éditions DLM et depuis longtemps indisponible. D’autant plus que figurait au sommaire un autre texte introuvable de la Culture, publié quant à lui dans le premier numéro de la revue Galaxies (“Un cadeau de la culture”). L’ensemble avait le bon goût de proposer en outre six nouvelles inédites, dont on espérait qu’elles seraient à la hauteur de la réputation des textes précédents, ainsi qu’une préface fort bien conçue de l’excellent Arkady Knight. Hélas, autant l’avouer dès le préambule, ce recueil s’avère dans l’ensemble assez décevant et bien loin des standards de qualité auxquels nous avait habitué Iain M. Banks.

Le sommaire débute par une nouvelle de 1988, “La route des crânes” (Road of Skulls), probablement l’un des textes les plus faibles de ces miscellanées banksiennes. Le bref récit d’un trajet entre deux compères sur une route pavée de crânes, une nouvelle qui ne soulève que très modérément l’intérêt et dont la fin n’excuse rien (d’ailleurs, on a déjà lu ça quelque part). On serait bien en peine de s’enthousiasmer pour le second texte, “Un cadeau de la culture” (A gift from the Culture) tant il laisse comme un arrière-goût d’inachevé. Un ancien membre de la section contact, exilé depuis de nombreuses années sur une planète de second rang, est sommé par un groupe terroriste d’abattre le vaisseau d’un ambassadeur de la Culture avec une arme qu’il est seul à pouvoir maîtriser. Peut-on échapper à l’influence de la Culture, même lorsqu’on s’est éloigné aux confins de sa zone d’exclusivité ? Un chantage doublé d’un cas de conscience dont finalement on se fiche éperdument, mais une question que l’on retrouve souvent en filigrane des romans de Iain M. Banks. Dans sa préface Arkady Knight rappelle d’ailleurs que les héros de Banks sont très souvent des personnages en marge de la Culture. Cette problématique est d’ailleurs au coeur de la longue nouvelle “L’essence de l’art”, qui met en scène une Unité de Contact Général en charge d’une mission d’observation de la Terre. A l’issue d’un séjour de longue durée sur notre planète, l’un des membres de la section refuse de retourner sur le vaisseau de la Culture, il souhaite définitivement rester sur Terre et couper le contact avec la Culture, ce qui ne manque pas d’horrifier ses petits camarades, qui considèrent la civilisation terrienne comme violente, décadente, stupide et inconséquente. On assiste évidemment au cours du récit à une opposition de style caractérisée entre la Culture, civilisation hédoniste, tolérante, ouverte, voire anarchiste, et la Terre, dont la civilisation a pour caractéristique principale une farouche volonté d’auto-destruction. On s’en doutait, à l’issue de cette phase d’observation, la Terre est bien évidemment retoquée par la section contact et l’UCG repartira sans même se manifester auprès des autorités locales, trop occupées de toute façon à se quereller. Evidemment cette novella de plus de 150 pages occupe l’esentiel du recueil et en fait l’intérêt principal ; en dépit d’un ton un peu didactique et moralisateur (honnêtement, on a connu un Banks un peu plus fin dans son approche) on apprend énormément sur la Culture, sur ses objectifs, sur sa philosophie de vie (la scène du banquet vaut à elle seule la lecture de ce texte). Mais sur le fond, on ne peut s’empêcher d’effectuer une comparaison avec l’excellente nouvelle d’Andrew Weiner, “Devenir indigène”, pas forcément à l’avantage de Banks.

En revanche, “Descente” est très certainement la pièce maîtresse de cete poignée de nouvelles. Un texte puissant, voire presque vertigineux, dans lequel le rescapé d’un crash effectue un long périple sur une planète désertique, dans l’espoir de trouver du secours. Une marche épuisante en compagnie de sa combinaison intelligente, mais également une plongée terrifiante aux frontières de la folie. La chute de cette nouvelle est tout simplement saisissante. Des quatre textes qui restent on retiendra l’humour noir de “Curieuse jointure” une sorte de rencontre du troisième type assez cocasse et “Nettoyage”, toujours dans le registre de l’humour, mais cette fois à la manière d’un Robert Sheckley ou d’un Frederic Brown, l’absurde n’était jamais bien loin. On se permettra d’être plus circonspect en ce qui concerne “Eclat”, un pur exercice de style, une expérimentation d’écriture qui peut impressionner mais dont au final on sort assez dubtitatif, ainsi qu’en ce qui concerne “Fragment”, qui contient des éléments intéressants sur le thème de la raison contre la foi et une chute assez bien trouvée. Pas de quoi fouetter un chat néanmoins.

Au final, L’essence de l’art fait l’effet d’une douche froide, sans doute parcequ’on attendait beaucoup trop du Banks nouvelliste et qu’à l’issue de cette lecture l’auteur écossais apparaît bien plus convaincant sur la forme longue. Faut-il pour autant se priver des quelques textes excellents qui parsèment ce recueil sous prétexte que l’ensemble apparaît moyen ? Si vous êtes fan de la Culture et que vous attendiez comme le messie la réédition de “The state of art”, vous avez sans doute déjà craqué. Dans le cas contraire, seul “Descente” fait figure de texte incontournable, vous êtes désormais prévenu.
EmmanuelLorenzi
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le 8 nov. 2012

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