Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=7MHIJb8ANjQ


Je vais commencer par les points positifs pour nuancer ensuite (je fais le contraire souvent, mais là je voulais faire dans ce sens, que voulez-vous)


Ce que j’ai beaucoup apprécié dans ce roman, c’est la plume de Tiffany Mcdaniels. Elle a une manière d’écrire très sensible, et très sensitive, qui fait la part belle au jeu de textures, aux couleurs, peut-être plus qu’aux autres sens, mais en littérature, jouer sur le toucher et la vue, c’est déjà mieux que beaucoup de livres. La réussite de beaucoup d’images, par exemple :


« Il y avait dans nos yeux, à Maman et moi, quelque chose de brouillé, comme lorsqu’on touche de l’encre avant qu’elle ait eu le temps de sécher ».


Je trouve qu’elle a réussi à faire quelque chose de très évocateur avec une grande simplicité, et j’aime beaucoup ça, ce qui parait facile au premier abord, mais c’est le contraire, on a tendance quand on veut faire des images originales à vouloir faire quelque chose de très élaboré, alors qu’au contraire, il faut quelque chose d’aisément imaginable pour le lecteur, et donc faire dans la simplicité, dans la spontanéité, ce qu’elle arrive à faire très bien.


Ensuite, ce que j’ai beaucoup aimé, c’est que les dialogues sont vivants, chaque personnage a sa voix, sa manière de parler, ils peuvent avoir un air de déjà-vu parfois, mais ça ne m’a jamais dérangé au point de prendre des notes, en gros, c’est assez rare. Et ce que j’ai aimé par-dessous tout, c’est les récits enchâssés, il y a beaucoup de mouvement, on ne sait jamais si c’est réel, ou des paraboles. Et c’est pour ça que je veux dire que L’été où a tout fondu, c’est ce qu’aurait pu être le dernier roman d’Amélie Nothomb s’il n’avait pas été raté : une certaine candeur dans le récit, puisqu’on suit des héros dans la préadolescence, mais jamais mièvre. Le côté conte aussi, ou parabole comme je le dis, avec une simplicité et une efficacité, mais la simplicité ne veut pas dire la paresse, c’est pas facile d’écrire simplement, sobrement. A aucun moment le correcteur automatique de mon cerveau était en marche quand je lisais, et bon sang, après mes deux dernières lectures, que c’était reposant de plonger dans une histoire sans être ennuyée par des phrases bancales, (ça me fait pareil qu’être en train d’essayer de manger un gâteau et que les mouches me volent autour).


Et puis la symbolique aussi, avec le biblique : c’est le récit habituel du bien contre le mal, sauf que là, les valeurs sont inversées (bon, et c’était déjà le cas dans beaucoup de fiction, on y reviendra plus tard)


Le diable que représenterait Sal, ce serait dans le sens luciférien (enfin, je sais pas si on dit comme ça), le diable comme ange déchu. « Je ne suis pas le maître de l’enfer. Je ne suis que sa première et sa plus célèbre victime ». Et face à lui, le personnage de dieu Elohim (qui signifie « Dieu » dans les langues sémitiques.), un homme de petite taille vêtu de blanc, qui parvient à rendre la ville bigote, superstitieuse et dangereuse, par racisme.


Le feu, revient, avec le jaune omniprésent (le ballon, les pots de moutarde de la mère, les cannas les fleurs qu’elle cultive qui ressemblent à des flammes.) La canicule qui fait suer Breathed et semble amener Sal dans la ville. Le feu, la chaleur, ça fait fondre le masque social des gens, le vernis des bonnes relations et des sourires derrières les haies. La ville devient folle comme une vache assoiffée, se met à fouetter à tout va de sa queue, à essayer d’éloigner ce qu’elle juge comme parasite.


Enfin, il y a aussi le libre-arbitre. Avec déjà le père Autopsy Bliss. (le livre explique qu’autopsie signifie en grec « vérifier par soi-même). C’est lui qui demande au diable de venir. Le libre-arbitre, c’est Sal qui l’apporte à la famille Bliss, comme le serpent qui invite à goûter le fruit défendu (on notera d’ailleurs que Elohim et sa bande d’illuminés brûlent des couleuvres). C’est lui qui aide la mère a sortir de chez elle, et donc de retrouver le choix, c’est grâce à son arrivée qu’on apprend le secret de Grand, et qu’on prend conscience d’à quel point il manque de libre-arbitre, et enfin, c’est lui qui met Fielding face à ses choix, aussi durs soient-ils. C’est dans ce sens que Sal est le diable, parce qu’il fait prendre conscience aux personnages qu’ils n’ont pas à rester plantés dans leur prédestination, et malheureusement, c’est ce qui va provoquer sa perte.


Venons-en aux points négatifs.

Ça m’a fait penser à deux films, Edwards aux mains d’argent, et La ligne verte (je sais que ce dernier est un bouquin). Le thème de la différence et du rejet social, et aussi le fait que le narrateur soit une personne âgée, et qu’il y a donc à chaque fois qu’on revient à la situation d’énonciation (quand le narrateur raconte) un goût doux-amer, un petit carpe diem mélancolique (où on se dit « moi aussi je vais vieillir et le rang de mes proches va se clairsemer », n’est-ce pas Mr. Jingles ?). Pour Edwards aux mains d’argent, c’est justement le combat du bien contre le mal que j’ai trouvé bien trop pompé (bon, à la base, c’est l’image de Frankenstein (celui des films, pas du roman de Mary Shelley) : la bête que les villageois poursuivent avec leurs flammes et leur fourches). Et ici, dans les années 80, on imagine aisément une banlieue pavillonnaire comme dans le film de T. Burton, avec les habitants stéréotypés (je le dis pas négativement mais dans le sens cartoonesque) : ce n'est pas forcément dérangeant, ce qu’il l’est, c’est quand des scènes commencent vraiment à mimer l’original. La scène des pétales de roses blanches m’a carrément fait penser à un plagiat d’Edwards aux mains d’argent : c’est typiquement la scène gracieuse et angélique avant le drame. Je vous laisse juger :


« Elle s’est mise à arracher les roses, les pétales blancs volant dans les airs avant de joncher le sol autour d’eux comme la chose ressemblant le plus à de la neige […] »


Et si je n’ai pas boudé mon plaisir, il y avait dans ce livre, à, côté de passages superbes, des passages plus poussifs.


Parce que la tension dramatique n’est pas toujours bien dosée. Autant il y a des moments très touchants (je pense à Grand par exemple) autant d’autres me paraissent alourdir l’intrigue. Dresden par exemple, je trouve que son histoire n’apporte pas grand-chose et que même, la manière dont ça termine m’a fait sortir de l’histoire, je me suis dit que ça commençait à faire beaucoup. Alors oui, ça reprend le thème de la chute, chute de trois femmes, Dovey, sa mère Alvermine et Dresden donc. Il y a Sal dans les trois scènes, et avec son histoire de chute, histoire qu’il raconte lors du premier accident, ça fait sens. Mais je me dis que sans l’histoire de Dresden et de sa mère, ça aurait été tout aussi bien, voire mieux car moins dans le mélodrame. Je trouve le personnage un peu transparent, celui de la mère assez caricatural



Autre point négatif, le choix de faire se dérouler l’intrigue dans les années 80, n’était pas toujours des plus sentis. Ça a parfois du mal à dépasser la nostalgie de ces dernières années quant à cette décennie, mais mis à part les clins d’œil comme « jouer à Space Invaders sur la console Atari de Grand » j’avais l’impression le reste du temps de me trouver plutôt dans les années 50 ou 60, avant les luttes pour les droits civiques des afroaméricains. Je me trompe peut-être, mais je trouvais que l’hostilité envers Sal était trop frontale, j’avais l’impression que ça collait pas avec ces années, que dans les années 80, c’est plus insidieux, peut-être, mais moins agressif. Parce que là, dès le départ, on sent le lynchage possible, et sans que ce soit jamais croyable à 100%. Quand ça arrive dans M.Vertigo, on est dans les années 20, les gens étaient séparés, la crise accroissait la quête de boucs émissaires. Quand ça arrive dans le livre de Paul Auster, c’est brutal, soudain, mais pas surprenant. Alors que dans L’été où tout a fondu, la haine, la méfiance, le côté superstitieux des gens de Breathed colle pas tellement avec l’époque choisie ; sauf concernant le sida et l’intrigue centrée sur Grand.



Donc pour conclure, je dois dire que malgré les points négatifs j’ai quand même passé un bon moment. Ce n’est pas forcément le livre dont je me souviendrais le plus dans les prochains mois, mais ça a été un divertissant agréable. Je reviens à ce que j’avais dit en terminant ma chronique sur Blackwater, mon désespoir qu’on trouve de la littérature populaire efficace mais exigeante : avec L’été où tout a fondu, mon vœu a été exaucé, le style se tient, l’intrigue est chouette à suivre, vous aurez sans doute des impressions de déjà-vu, mais je vous le recommande tout de même.


YasminaBehagle
6
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le 26 août 2022

Critique lue 260 fois

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YasminaBehagle

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