A l'heure où j'achève ma lecture, ma tête est aussi truffée de questions que le livre l'est de post-it indiquant les éléments dont je souhaite me servir pour rédiger cette critique.

Il s'agit du premier roman d'Eric-Emmanuel Schmitt que je lis. Je reste mitigée. Une foule de questions a accompagné ma lecture. Très vite, je me suis demandé quel était le but recherché par l'auteur ? Provocation ? Je l'ai cru, j'y ai ensuite renoncé. Érudition ? J'ai du mal à croire qu'il lui ait fallu sept ans pour se documenter sur le sujet, il semble tout au plus avoir une très bonne connaissance du Nouveau Testament, ce qui est à la portée de tout le monde.

Trois parties ; trois récits ; trois formes différentes ; trois incursions dans l'intimité de trois hommes : Jésus, Ponce Pilate et l'auteur lui-même. Si je n'étais aussi sévère, je pourrais dire que l'écriture de ce dernier est séduisante mais je suis sévère et je me contenterai donc de la qualifier d'efficace.

Première partie : Jésus. Coup de projecteur sur celui qui, en 2000, année de parution du roman, reste pour notre société un « inconnu célèbre ». Homme ? Dieu ? Demi-dieu ? Demi-homme ? Ça, c'était bien sûr avant que Dan Brown ne fasse paraître en France son bruyant Da Vinci Code (2004) et n'enracine sa soupe populaire dans les esprits les plus crédules et les moins créatifs.

Lisant les lignes d'Eric-Emmanuel Schmitt, je suis à la fois heureuse et en colère, quel paradoxe ! Heureuse d'entrer dans l'intimité du Christ. J'accepte donc la proposition de l'auteur de l'imaginer dans sa vie d'homme, d'artisan, de fils aîné d'une famille galiléenne comme les autres. En colère devant ce qui m'apparaît être une attitude d'une présomption presque orgueilleuse de la part d'un auteur qui me donne le sentiment d'une grande suffisance. Se serait-il mis en tête de jouer aux historiens et de réécrire l'Histoire ? En tout cas, il semble déterminé à vouloir faire tomber des masques qui n'en sont pas, à lever des lièvres imaginaires et à faire du bruit autour d'un thème porteur. Veut-il tout simplement... vendre ?

Seconde partie : Pilate. Le récit charnière. La colère est toujours là, suivie de près par l'indignation. Elle s'enfle, se fait orageuse, les post-it se multiplient et buttent sur le vocabulaire employé (« [j'ai] tout de suite entrevu l'épaisseur des emmerdements qui m'attendaient […] », « […] un accent de bouseux galiléen […] », « Barabbas, ce fils de pute [...] », « Il n'aura de cesse de nous foutre dehors [...] », « […] les plaisantins qui se sont payé la gueule du monde entier cette nuit [...] », « […] la réalité, je la traque, je lui colle au cul [...] », « […] je n'imagine aucune de ces enflures capable d'aller jusqu'au bout de son rêve. », etc.). Je sais, vous allez rétorquer que je n'y étais pas davantage qu'Eric-Emmanuel à la préfecture de Judée et que, par conséquent, je ne peux affirmer que Ponce Pilate, préfet romain, ne s'exprimait pas de cette manière mais, peu importe, mes nerfs de lectrice s'hérissent à lire ces mots qui s'empêtrent dans la toile de l'anachronisme.

Normalement, à ce stade, vous vous dites que je n'ai pas du tout aimé ce roman et que je vais donc m'ingénier à le lapider. Réponse : Faux !

A ma grande surprise, même si je n'apprécie pas la forme employée par l'auteur pour transcrire le témoignage fictif de Pilate sur « l'affaire » Jésus, comme il se plaît à appeler cet « épisode », à savoir non pas un évangile (tellement racoleur et tellement inexact !) mais la correspondance de Pilate à son frère Titus, le récit gagne en cohérence et en profondeur. Le lecteur déflore enfin le véritable intérêt de ce mauvais polar théologique : le mystère de la Foi ! Qu'est-ce que la Foi ? A-t-elle un rapport avec la Réalité, avec la Vérité ? Qu'est-ce la Vérité ? Qu'est-ce que la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus, ce juif errant condamné par son propre peuple à mourir crucifié dans la souffrance ? Et là, ça devient diantrement intéressant... Questions éternelles, questions immortelles ; réponses depuis longtemps sclérosées. Or, le traitement qu'en fait Eric-Emmanuel Schmitt est épuré, efficace, intelligent et éclairé.

Depuis 2000 ans, les hommes éprouvent tellement de difficulté à expliquer l'inexplicable et dépensent tellement d'énergie à revendiquer la compréhension de l'incompréhensible qu'ils en oublient toute la beauté et la gratuité d'un sentiment spirituel individuel destiné à s'épanouir dans la collectivité pour rendre l'Homme et le monde meilleurs : la Foi. Et l'auteur trouve les mots justes pour toucher la conscience de chacun, pour lui tendre ce que Jésus a lui-même tendu à Pilate le jour de sa condamnation : le miroir d'une spiritualité fondée sur la bonté et l'amour.
« -Es-tu le Messie ?
- C'est toi qui l'a dit. »
(« C'est toi qui décides en ton âme et conscience si je suis le Messie ou pas, c'est toi qui choisis de me reconnaître comme Dieu, tu es libre ».)

Libre de faire le Bien... ou le Mal.
Depuis 20 siècles, au nom de Dieu, on a tué, on a condamné, on a massacré, on a gravement indigné un peuple qui, aujourd'hui, ne veut plus croire. Eric-Emmanuel Schmitt propose une (re)lecture profonde du message de Jésus, un retour à la Bonne Nouvelle, son dogme d'amour. Il est d'ailleurs troublant de dresser un parallèle entre la société juive de l'époque, craignant d'être renversée par un ennemi qu'elle croyait menaçant sans le connaître, et notre propre société qui repousse avec force toute idée de spiritualité, préférant mettre aveuglément dans le même panier les croyants qui prient et les intégristes qui hurlent, au grand détriment des premiers qui ne sont pas loin d'être marginalisés et persécutés comme le furent les premiers Chrétiens.

Dernière partie, je serai brève. A ma grande satisfaction, l'auteur prend la « parole » pour répondre lui-même à presque toutes les questions que son récit a suscitées en moi. Ainsi, je ne serais pas la seule lectrice à me les être posées ?
Gwen21
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le 26 mai 2013

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