Petit bijou de drôlerie écrit par Romain Gary sous le pseudo de Fausto Sinibaldi. Pour qui connait un peu l’ONU, c’est un bijou d’humour cynique. Il a légèrement vieilli en ce qui concerne les références à la guerre froide et aux relations américano-soviétiques, mais dans l’ensemble il reste étonnant de modernité.
Et surtout hilarant, comparant l’ONU (où Gary a été diplomate pour la France) à une structure créant de la vacuité. Une organisation qui, du fait d’une commission où personne n’était d’accord sur rien, a perdu une pièce dans son bâtiment où un ancien combattant texan qui a cru un temps aux Nations Unies a trouvé refuge pour dénoncer l’illusion. Où la panique se créée dans l’enceinte de la salle du conseil de sécurité par la présence d’une colombe, symbole de la paix, qui a été alcoolisée par des journalistes. Où les principaux experts sont des mafieux ou des paumés. Mais les USA ("sa réputation d’intelligence fut telle qu’il failli même être convoqué devant la commission sénatoriale d’activités antiaméricaines" ou "Tu devrais avoir honte Johnnie ! Si tes ancêtres avaient passé leur temps à penser, il n’y aurait jamais eu de Texas."), l’URSS ou la France ("Il lui eût appartenu de plein droit de prendre la tête de ce grand mouvement où la grandeur nait de la faiblesse") en prennent aussi pour leur grade.


Petit florilège (mais il n’y a quasiment aucun page où je n’ai pas éclaté de rire):


"même dans une organisation où, depuis longtemps, personne ne cherchait plus à comprendre le sens de toutes les activités qui s’y déroulaient, cet étrange exercice avait provoqué des commentaires sans fin."


"Les larmes humaines apparaissaient fréquemment certes dans les travaux de l’Organisation, mais uniquement comme une figure de style, un point de référence ou un effet oratoire et, à part quelques experts et chargés de mission, aucun des hauts fonctionnaires ou des délégués n’en avait vu personnellement."


"Après tout, nous sommes une oeuvre de longue haleine. Quel que soit son âge, c’est un problème qui se résoudra tout seul dans 50 ans comme tant d’autres problèmes qui nous préoccupent ici. Votre bonhomme disparaitra par la force des choses. Il est soumis aux lois de la nature. pas nous."


"Nous sommes très exactement ce qu’on appelle une force spirituelle. Il serait absurde de la gaspiller à vouloir résoudre des problèmes pratiques et immédiats."


"- Alors on fait comme d’habitude?
- Cela me parait évident.
- Pas de décision?
- pas de décision.
- Bon. Dans ce cas passons à l’examen des autres problèmes.
"


"Vous êtes l’exemple parfait de ce que peut donner une grande vocation au service des Nations Unies. Un cireur de bottes [on s’adresse à un cireur de chaussures] qui sait offrir ses services dans toutes les langues du monde devrait être le Secrétaire Général de l’Organisation."


"Je vais leur montrer que nous autres, Américains, nous sommes encore capables d’inventer une cochonnerie idéaliste, une escroquerie morale qui ferait pâlir d’envie les Nations-Unies elles-mêmes."


"La présence d’un chien dans les couloirs donnait d’ailleurs incontestablement aux Nations Unies un caractère un peu plus humain."


"- La première chose à faire est de voir si ce garçon est sincère. Peut-être croit-il vraiment que les Nations Unies peuvent faire régner la paix dans le monde.
- Un enfant de 5 ans vous dirait que nous sommes complètement incapables de faire quelque chose de ce genre, protesta Traquenard [Le SG], avec indignation.
"


"Avec cette infaillibilité caractéristique des masses populaires devant les exemples d’intégrité politique, la foule comprit immédiatement que Johnnie se restaurait pour reprendre des forces afin de mieux continuer son jeûne."


"Vous pouvez êtres sûrs qu’une fois ici, entre ces murs, il cessera d’être très rapidement un problème; il va s’user, cesser d’intéresser, passer dans la routine de l’Organisation et disparaître peu à peu… L’essentiel, ainsi que je l’ai dit depuis de début, est de l’annexer. Ensuite, nous n’aurons plus guère à nous en préoccuper : Il deviendra très rapidement une abstraction… Après tout, c’est là une des raisons de notre succès : transformer les problèmes et les réalités en abstraction, les vider de tout contenu concret… il faut qu’il revienne ici, qu’il reprenne sa place parmi nous, et l’atmosphère du lieu fera son oeuvre."

Ced_Auma-Jeu
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le 12 oct. 2017

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