Incontournable Août 2023


Pour ce nouveau membre de la fratrie Unik couleur de chocolat, de la maison Héritage, on traite de racisme, de différence et d'estime de soi. Pas du racisme radical comme dans certains romans ado scabreux, non, plutôt celui des mots et des préjugés, qui à leur façon, font beaucoup de mal, eux aussi.


Notre narrateur est anxieux en ce jour de début de classe. de ce qu'on comprend, il n'a pas eu son mot à dire dans la décision de sa mère de lui faire fréquenter une nouvelle école, qu'on peut deviner plus nantie ou du moins, située dans une zone de la ville plus nantie. Et où notre narrateur à la peau noire se retrouve en minorité très minoritaire dans une populace très caucasienne (Blanche). À travers ses vers libres, le narrateur nous esquisse un parcours scolaire ponctué de remarques déplaisantes et souvent basée sur des jugements ou d'association incorrecte. Je cite par exemple le "Tu parles bien pour un Noir", qui me fait sourciller tout autant que le narrateur. Il est centre de l'attention, se comparant à un pion noir sur un échiquier. Ce qui le nargue, c'est d'être toujours renvoyé à sa différence et que cette même différence est toujours renvoyée à des origines étrangères, alors qu'il est Québecois. Il aimerait qu'on change de sujet tout comme il aimerait pouvoir répondre aux remarques qui alourdissent son esprit. Un jour, la remarque de trop lui fait perdre son sang froid et il répond par la violence. Il se fait exclure cinq jours pour s'être battu. Au-delà de cette humiliation, c'est surtout le trop plein que notre narrateur a le besoin de canaliser. Heureusement


Il y a une dimension sociale qui me semble très intéressante dans cette histoire est c'est celle de la minorité visible renvoyée à elle-même dans son entité. On aurait pu avoir le même cas de figure pour une fille dans une écolde composée que de garçons. On aurait pu avoir le même cas de figure avec un ado en chaise roulante ou tout autre handicap physique visible dans une école où personne n'en a. Dans ce genre de contexte, il n'est donc pas rare de voir la personne devenir aux yeux des autres "Le/La différent.e" qui a X différence. On observe alors des renvoies fréquent à cette différence, comme si aux yeux des autres, c'était une "aberration", un genre d'ovnis, un atypique, en oubliant tout ce que cette personne a de commun à eux: des émotions similaires, des intérêts similaires, des besoins similaires. Pour la personne qui le subit, elle a alors l'impression d'incarner la différence en elle-même et c'est bien évident que ça devient lourd, surtout quand il faut supporter les remarques de centaines de curieux épatés ou perplexes. Être une super-minorité dans un monde qui côtoie peu la diversité, c'est pratiquement un fardeau et ça demande donc des facteurs de protections: Un réseau social d'appuis, le concours des profs, une bonne éducation à la diversité et surtout, à l'empathie. Toutes des solutions, de rien, c'est gratuit.


J'ai sourit quand j'ai lu le passage sur le prénom. Non pas que cela me fasse rire que son prénom soit écorché, mais cela m'évoque le petit livre sympathique "Je m'appelle Wlodjymyerz", livre que j'ai du écrire moult fois pour arriver à enregistrer le prénom - C'est chose faite, je le connais par coeur! Dans ce livre, Wlodjymyerz ( prononcé "Vlo-dji-mierge") se faisait constamment écorcher son prénom polonais et il y a tout un éventail de pistes de réflexion sur cette question. Les prénoms étrangers ne sont pas seulement donnés aux étrangers. Ils sont parfois ceux des enfants nés dans les pays hôtes. Les "caser" de facto dans la catégorie des "immigrants" ou des étrangers est donc une erreur, tout comme celle de le faire par la couleur de peau. Aussi, la question de la prononciation a été aussi traitée et comme une des professeurs de cette histoire le disait: Un prénom est sacré, c'est un identifiant et souvent une source de fierté donné en l'honneur d'un membre de la famille ou tiré d'un pays dont les membres exilés ou immigrés restent parfois attachés. Franciser ou remodeler un prénom pour en faciliter l'usage est donc litigieux, voir irrespectueux, en ce sens. du reste, depuis quand apprendre des nouveaux mots est-il devenu impossible à faire? On en apprend tous les jours dans notre langue d'usage, est-ce si pénible de le faire pour des prénoms étrangers? le narrateur de "La couleur de ma différence" peut légitimement, à mon avis, se sentir lésé de se faire maltraiter ainsi son nom. Je pense qu'une part revient au professeur de demander et l'autre part à l'étudiant de le fournir.


"Faire de sa différence sa fierté" est un des thèmes de cette histoire et ça, je seconde cent fois! Nous avons tous une différence, certains en ont même plusieurs, certains en ont qui ne sont pas visibles. Mais aucune différence, qu'elle relève de la couleur, de l'orientation sexuelle, de l'identité en générale ou du genre ne mérite d'être une source de honte et objet d'ostracisation. Se faire sentir inférieur ou "bizarre" parce qu'on est ce qu'on est est d'une stupidité absolue de la part des gens qui la traite comme telle. D'abord parce que même dans nos différences, nous avons aussi beaucoup de ressemblances. Ensuite, parce que la différence est source de curiosité. Voir autre chose, c'est l'occasion de "voir" autrement, d'articuler autre chose et donc, d'assouplir l'esprit. C'est comme ça qu'on devient tolérant, empathique et ultimement socialement intègre. Mon avis , bien sur.


J'ai beaucoup traité des "autres", je m'intéresse maintenant à notre narrateur ( appelons le Mc Knoell, puisque c'est un roman à saveur biographique). Mc Knoell a deux aspects à considérer: Sa gestion de la colère, d'un part, et la construction de ses défenses, d'autre part. Les deux seront abordés. Dans le premier cas, le directeur a raison sur la question de sa réaction violente. Si sa colère est légitime, sa réponse agressive physique l'est beaucoup moins. La violence ne résout rien, elle ne crée que plus de violence et en plus, risque de le faire passer pour quelqu'un de peu recommandable. Toutefois, cet incident se relaie à l'autre point, celui de sa défense. Mc Knoell va donc parler à sa mère des évènements, sanction oblige. Cette maman a de bonnes recommandations. Sommairement, elle recommande à son fils de tabler sur son estime de soi. Socle de notre psychée, l'estime de soi fait des miracles. L'estime de soi, quand elle est solide, permet d'accepter d'échouer et d'être faillible, elle permet d'accepter d'avoir des émotions, elle rend moins susceptible et vulnérable aux violences, elle nous donne la force d'encaisser les critique. Surtout, l'estime de soi permet de reconnaitre ses forces et d'être bienveillant envers soi-même. C'est elle qui permet de refuser d'être maltraité et utilisé. Elle sait ce que la personne vaut. Mc Knoell a donc une bonne estime de soi, mais manque de confiance en soi. Il savait déjà qu'il méritait mieux et il avait raison de croire que tout ce qu'il vit est injuste. Maintenant, avec les conseils de sa maman, à savoir "comment répondre aux gens" et "t'aimer un peu plus", il a de bonnes chances de s'intégrer et d'évoluer sainement. Ce ne sera pas facile, des imbéciles et des ignorants, il y en aura toujours. Par contre, il aura aussi des gens pour le soutenir et pour célébrer sa personne au-delà de sa différence. Ça semble même se profiler vers la fin du livre.


J'aime les romans qui, à travers des formules simples, sont à saveur universelle, tout comme j'apprécie les romans qui permettent de se placer dans la peau de gens vivant des situations dans lesquelles on ne peut pas se placer autrement que dans la fiction. "La couleur de ma différence" n'est donc pas simplement une histoire de racisme pour moi, mais bien une fenêtre sur la "différence". Les LGBTQ+, les filles, les Intellos, les artistes, les immigrants, tant de jeunes pourront aussi s'identifier aux constates et aux interrogations soulevées ici. Par ailleurs, les conseils de la mère, bien qu'en apparence simple pour des entités complexes telle que l'estime, restent très pertinents.


Il faut d'ailleurs que j'ajoute aimer la présence maternelle de cette histoire. Les parents sont imparfaits, mais nombre d'entre eux veulent soutenir leurs ados sincèrement, on l'oublie souvent dans la littérature adolescente, plus souvent tournées vers les enjeux. Ici, on est dans une source positive, une figure maternelle attentive et solidaire, qui propose des solutions et même des idées de quoi répondre. Ça ma bien fait rire! C'est la page 97, en voici un exemple:


" Y a un Blanc à mon école, tu devrais bien t'entendre avec lui." haha Ça sonne aussi absurde qu'en sens inverse, c'est bien trouvé!


Il y a un court, mais éloquent passage sur le "profilage racial" qui sévit encore dans certaines professions, comme la police. On parle de profilage racial quand on attribue automatiquement une intention ( souvent malveillante) à un groupe ethnique donné. C'est un des élément qu'on retrouve dans ce qu'on appelle maintenant "le racisme systémique" ( ne pas confondre avec "systématique", c'est pas pareil), c'est-à-dire un racisme internalisé dans un système donné. Se faire interpeller par des policiers parce qu'on a un physique ethnique noire, ou latino ou magrébin, c'est raciste et c'est du profilage racial. Pour la personne qui se fait interpeller avec pour motif son ethnie, c'est humiliant. C'est comme si on mettait tous les gens du groupe ethnique dans le même panier. Ce sont des généralisations dangereuses et surtout, qui ne mènent concrètement nul part. Bref, il y a tout un enjeu sur cette seule thématique qui mérite qu'on la souligne et qu'on en discute.


Il y a un Postface de l'auteur, monsieur Mc Knoell Alexis, qui explique l'histoire derrière l'histoire. La sienne. Il relate, entre autres trucs intéressants, un élément que je trouve moi aussi important, en tant qu'individue d'une société interculturelle, mais aussi en tant que libraire jeunesse: La "juste représentation dans la culture". Pour se reconnaitre, les enfants et ados ont besoin devoir la diversité dans leur littérature ( et dans tout le milieu artistique et culturel) . À une époque pas si lointaine, la littérature jeunesse était homogène et particulièrement aseptisée de toute diversité. C'était navrant et surtout, un terrible rappel de la politisation de la littérature jeunesse. Les choses ont changées, un peu. On a plus de personnages de couleur noire, miel, pain doré, toute palette; on a plus de diversité de rôles pour les trois genres ( J' inclut l'inter-genre), ont a plus de personnages en situation de handicap et plus de personnages avec des enjeux de santé mentale. La lutte pour une meilleure représentation n'est pas violente, mais elle est là. Tout ça pour dire que l'auteur a raison de mentionner ce qui semble un détail, mais qui est en réalité un enjeu littéraire avéré. Pour se sentir estimés, les jeunes on besoin de se voir et de s'identifier à des modèles qui leur ressemble, mais pas seulement! Pour comprendre la diversité, les gars doivent lire sur des personnages féminins, les blancs sur des personnages noires, les typiques sur les atypiques. Pour former un tout harmonieux, y a pas de miracle: Faut le "voir" et le comprendre, pour le célébrer par après. Ce n'est pas en s'intéressant seulement aux catégories qui nous concernent qu'on va réellement évoluer. Houla, je me sens d'humeur philosophe ce soir!


Enfin, ce roman nous rappelle le poids de nos propres mots. Sans même avoir d'intentions mesquines, parfois, la nature de nos propos ou la récurrence d'un préjugé font du mal. Je pense qu'à défaut de ne plus rien dire pour ne pas blesser, il faudrait surtout être attentifs à ce que nous disons et surtout, aux réactions ou émotions qu'elles suscitent chez la personne qui reçoit nos mots. Cela renvoie naturellement au développement de l'empathie et à l'importance des représentations évoqués antérieurement. Quand on est souvent entouré de diversité, on a tendance à moins s'en étonner et surtout, on se rend compte que nos différences n'empêchent nullement les ressemblances entre nous.


Ah, bon sang, moi qui voulait faire court...bah, c'est raté! Ce petit livre, je le constate, nous fait naviguer sur pleins de thèmes intéressants et il y a pleins d'axes sur lesquels extrapoler. Merci à son auteur!


Bien qu'il y ait une centaine de pages, il y a une à trois-quatre phrases par pages, c'est donc rapide à lire - Mais pas moins pertinent, attention! C'est le propre de la collection Unik que cette formule très aérée en vers libres. Notez que c'est aussi la singularité de la forme des phrases qui étonne. Des vers arrondies, en flèche, en escalier, en courbe ascendante. Des polices qui grossissent, s'amincissent ou deviennent transparentes; Des mots, plutôt que des phrases. Tout cela respire la créativité et viendra chercher le lecteur sur un aspect autre que le simple texte: celui de la forme symbolique. Leur taille ou leur emplacement est toujours corrélé au texte, ce qui le rend particulièrement dynamique et renforcé. Cela devrait plaire à un plus large spectre de Lecteurs ado, dont les moins amateurs de paragraphes ou les visuels. Enfin, comme il s'agit de vers libres, on traite donc aussi de poésie, dans une forme beaucoup plus accessible et ludique. Cela concerne l'ensemble des membres de la fratrie Unik.


Nous avons placé la collection Unik en littérature adolescente ( 12-17 ans), pour qu'ils restent bien ensemble sur le rayon et parce que les sujets sont généralement sensibles. N'empêche que pour les profs des 10-12 ans du groupe de Lecteurs de la littérature Intermédiaire du troisième cycle primaire, ces livres peuvent leur convenir, si vous avez envie de vous lancer dans des enjeux plus sérieux ou si vous avez des Lecteurs matures et/ou sensibles. Je rappelle que les livres n'ont pas réellement d'âge, ce ne sont que des approximations et des lignes directrices.


Pour un lectorat adolescent du premier cycle secondaire, 13-15 ans+.

Shaynning

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