Les "bons sentiments" de ce livre qui veut défier "Autant en emporte le vent" !

Titre original : "The Help" ("La bonne" ou littéralement "L'aide-ménagère")

L'histoire

Au début des années 60, dans la capitale d'un ancien Etat sudiste, le Mississippi, une jeune héritière blanche convainc plusieurs bonnes noires de ses connaissances de témoigner dans un livre sur leur condition. C'est sans compter sur l'illégalité d'un tel projet ou son inadéquation avec les moeurs de l'époque...

Le style

Le livre a 3 narrateurs différents : Miss Skeeter (la Blanche), Aibeleen (la bonne d'une de ses amies) et Minny (l'ancienne bonne d'une autre de ses amies). Cette structure est un peu la même que celle du Trône de Fer. Pour information, j'ai lu à la fois en anglais et en français. Je peux donc dire que la version originale est très écorchée niveau grammaire, chose qui a été édulcorée par le traducteur français. Ce style veut sans doute montrer que la plupart des bonnes sont moins lettrées que les Blanches (exception faite pour Yule May).
D'autre part, pas de longues descriptions, un style très factuel et ancré dans le présent.

Mon avis

Avant d'aller plus loin dans ma critique, je rappelle que j'ai lu le roman "Autant en emporte le vent", roman que j'ai énormément apprécié, notamment pour ses qualités littéraires, culturelles et sociologiques.
J'ai mis 6 étoiles car le livre traitait d'un sujet sociologique intéressant, avec beaucoup d'anecdotes intéressantes sur les Noires. J'en ai enlevé 4 car le livre n'était pas très passionnant (ce n'est pas un "page-turner") et que le livre traite mal le sujet.

En effet, le livre se vante de s'affranchir d'"Autant en emporte le vent". Miss Skeeter dit : "And [...] everyone knows how we white people feel, the glorified Mammy figure who dedicates her whole life to a white family. But no one ever asked Mammy how she felt about it." C'est-à-dire que le livre se vante, à juste titre, de faire une chose qu'"Autant en emporte le vent" ne fait pas, i.e. de donner la parole au domestique noir. Où là encore, plus loin, Minny dit : "If I'd played Mammy, I'd of told Scarlett to stick those green draperies up her white little pooper. Make her own damn man-catching dress". ("Si je jouais Mama, je dirais à Scarlett de se coller ses rideaux verts dans son petit derrière blanc. Qu'elle aille se faire sa robe affriolante toute seule.") Minny, dans le livre, est un personnage qui ne lit pas et qui ne connait que le film. Elle porte donc un jugement erroné, que le livre ne vient pas repêcher. Or, ce qui se passe réellement dans "Autant en emporte le vent", est que Scarlett veut d'abord faire sa robe toute seule avant que Mama ne vienne s'en mêler elle-même !

C'est pourquoi j'affirme que si "la Couleur des Sentiments" (CS) a l'intention de décrédibiliser "Autant en emporte le vent" (AEV), en réalité, ce roman ne s'en affranchit pas du tout. Voici pourquoi :
Dans CS, les seuls Blancs gentils envers les Noirs ont tous grandi dans des plantations (Miss Skeeter, son père, le sénateur, Johnny Foote...). Dans AEV, tous les Blancs propriétaires d'esclaves sont aussi gentils avec eux, même Scarlett ! Ce qu'il faut savoir, c'est que dans le Sud, très peu de Blancs (je les appellerai l'aristocratie) étaient propriétaires d'esclaves. Cette aristocratie est composée soit de planteurs (les familles O'Hara ou Wilkes) soit d'hommes d'affaires citadins (les Hamiltons). Toute cette aristocratie a été élevée dans l'idée d'un certain paternalisme envers les esclaves. Dans AEV, les seules personnes méchantes envers les Noirs sont les Yankees ou les "pauvres" Blancs, que les Noirs méprisent. Les Yankees regardent les Noirs comme s'ils étaient des extra-terrrestres (voir la discussion entre Scarlett et des femmes yankees.) * Peut-être que les pauvres Sudistes aussi, mais ce n'est pas écrit dans AEV.
On peut donc supposer que cette mentalité a été transmise de génération en génération jusque dans les années 60. Ainsi, paradoxalement (ou non!), si on retrouve des trophées de la Guerre de Sécession chez Johnny Foote, ce dernier se montre très prévenant envers Minny. De plus, on peut remarquer que les véritables "aristocrates" de CS sont ceux qui ont été élevés par des Noires et sont les gentils du roman.
D'autre part, Miss Hilly et Miss Leefolt ne sont pas des aristocrates à double sens. En effet, elles n'ont pas un comportement noble et elles ont un comportement typique des "nouveaux riches" (vantardise, dépenses, etc.). Je suppose qu'au contraire de Miss Skeeter, elles n'ont pas de lignée notable (ce qui explique pourquoi Miss Hilly fréquente Miss Skeeter). Ce manque d'héritage fait qu'elles ont peu ou pas du tout de considération pour les Noires. De plus, comme leur accession à la fortune doit être récente, elles se sentent plus proches des Noires que ne le sont des gens comme Miss Skeeter ou Johnny Foote. C'est pourquoi elles tiennent absolument à mépriser les Noires pour bien montrer que ce sont elles les patronnes.

En résumé, pour moi les personnages gentils (Skeeter, son père, Johnny Foote, etc.) sont descendants de propriétaires d'esclaves. Miss Hilly, Miss Leefolt, etc. sont descendantes de "pauvres Blancs" (AEV) ou au moins de Sudistes qui n'avaient pas d'esclaves. Voilà qui explique tout le roman.

Malheureusement, ce ne sont que mes suppositions et mes analyses. Rien dans le livre n'analyse vraiment le comportement et le passé de ces méchantes Blanches. Mon analyse, je la dois à de précédentes lectures. D'ailleurs, le fait que je parle de gentils et de méchants montre le manichéisme de ce livre, pleins de bons sentiments. Peu de descriptions sont vraiment faites sur le contexte de la vie des Noirs, c'est pourquoi un narrateur omniscient aurait été le bienvenu. Les 3 personnages principaux sont finalement peu brossés et peu palpitants.

Conclusion
C'est un roman peu prenant qui raconte la vie ménagère dans le sud des années 60. De plus il manque énormément de fines analyses.


Pour bien comprendre le problème du Sud, des Noirs et de la ségrégation, je vous recommande plutôt "Autant en Emporte le vent", un roman bien plus profond (et long !) que le film. En plus d'expliquer les relations propriétaire-esclave, ce livre montre bien la caricature de la "Southern Belle" et du modèle de la femme Blanche dans le Sud. Ainsi Mrs Merriwether et Miss Hilly ont une certaine parenté !


Pour avoir un point de vue plus "noir", vous pouvez essayer "Roots" d'Alex Haley, un roman que je n'ai malheureusement pas encore lu. En plus, ces deux romans ont gagné le Prix Pulitzer, chose que n'a pas "la Couleur des Sentiments".


(Enfin imaginez un peu Scarlett O'Hara installant des toilettes séparées pour Mama et l'oncle Peter ! La bonne blague ! :-D)




* Ce que montre le roman Autant en Emporte le Vent a notamment été confirmé par Franck Ferrand et André Kaspi dans une émission d'"Au coeur de l'histoire" traitant de la Guerre de Sécession.
liquorice
6
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le 23 janv. 2014

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liquorice

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