Trois jours pour vous dire ce monde...

Jean d'Ormesson est un enfant émerveillé.
Sous une plume aussi pétillante que ses yeux, il vous contera ses promenades par-delà la Douane de Mer italienne, des rives de la Grèce à la pluie enchantée de Paris, pour suivre la mémoire de cet autre lui-même, que la mort a emporté mais dont l'âme s'attarde trois jours encore, trois petites journées, sur ce monde qu'il a tant aimé. Les mots nous délivrent avant tout une aventure remarquable, une folle Odyssée des siècles et des lieux, qui vous emportera loin, très loin. Vos compagnons de route se nommeront Grégoire VII, Stendhal ou George Sand ; ils vous inviteront un instant dans leur vie, vous côtoierez leurs grandes et petites passions, avant que l'esprit jaillissant d'O ne vous emporte ailleurs encore, sous d'autres cieux. Dans les mémoires de Marie qu'il a tant aimée.

Jean d'Ormesson est un philosophe amoureux.
D'Empédocle et sa sandale, au songe du Bouddha assoupi, les maîtres à penser défileront en jonglerie comme une fête. Toutes les idées qui ont passé dans ce monde seront conviées une dernière fois au-dessus d'un vingtième siècle touchant à sa fin ; et l'on sourira bien. Car notre petite ethnie de bipèdes a longtemps marché, longuement erré, et s'est souvent égarée en chemin – pourtant le délicieux O prendra le pari fou de vous faire aimer un univers qu'il quitte à reculons, mais sans regret, déjà curieux de plonger dans l'au-delà de notre petite planète.

Jean d'Ormesson est un "admirable bonhomme".
Il n'aura certes pas mené sa vie comme l'on déroule une fresque tragique ou démêle un jeu de pouvoir ; il a simplement aimé, passionnément, cet univers qu'il doit maintenant abandonner, et tente de nous en livrer quelques mots avant son grand voyage. Œuvre aux allures de testament, l'humour sucré d'O le fera divaguer à l'envi en de trop longs passages sur Chateaubriand, ou la Papauté – et s'en amuser par la suite, en un remarquable pied-de-nez à son lecteur. Oui, d'Ormesson fait ruisseler sa mélodie sur douze claviers en même temps, et l'esprit en partance désire encore et encore contempler son dernier jour sur ce monde époustouflant, humer une autre bouffée de ses mille souvenirs. Oh, mais il partira, soyez-en sûr, au bout des trois jours il s'en ira, il mettra un point final à tout ce rêve. Mais auparavant, laissez une fois encore le mort renouer un instant avec sa vie, et vous emporter au détour de nouveaux souvenirs fantastiques...

Avocat improvisé, nouveau Loth ou Babouc qui convainc son juge de laisser aller le monde comme il va, le sourire d'O saura rendre attachants tous les vices et petits travers de l'humain – et si c'est l'indulgence amusée qui l'emporte en vous à la clôture de l'œuvre, alors l'émerveillé conteur aura relevé son brillant défi. Avec maestria.
Wakapou
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le 12 nov. 2010

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