La Duchesse de Langeais est une nouvelle qui fait partie de « L’histoire des treize », où figurent aussi « Ferragus » et « La fille aux yeux d’or ». Le texte commence alors que le général de Montriveau, en mission en Espagne, s’introduit dans un couvent de Carmélites aux Baléares. Il y reconnaît avec certitude la femme qu’il recherche depuis cinq longues années et intrigue pour la rencontrer au parloir en présence de la mère supérieure, mais, au dernier moment, elle se dérobe. Après cette introduction, le récit fait un bond de cinq ans en arrière, au moment où ce même général a fait l’objet d’une opération de séduction menée par « la reine du faubourg Saint-Germain », une femme froide, orgueilleuse, prude, experte en coquetterie et qui vit à travers Montriveau l’occasion d’ajouter un prestigieux soldat de Napoléon à sa collection déjà fournie d’admirateurs. La Duchesse de Langeais, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, joua comme à l’accoutumée avec son soupirant, alternant atermoiements et savantes reculades sans jamais lui laisser le moindre espoir de pouvoir consommer une relation devant rester en tout point platonique. D’abord fou amoureux, le général finit par prendre la mouche. Frustré et humilié, il organisa l’enlèvement de la duchesse au cours d’une réception mondaine et menaça de la marquer au fer rouge. Les rôles s’inversèrent alors et la duchesse, devenue amoureuse transie, s’épuisa à tenter de reconquérir son amant. Celui-ci lui montra le dédain le plus profond et, de guerre lasse, Mme de Langeais décida de disparaître à jamais de la vie parisienne pour rentrer dans les ordres…

Pour moi, le texte repose sur une question essentielle : Mme de Langeais et Mr de Montriveau se sont-ils vraiment aimés ? Même si tout concorde pour ne laisser planer aucun doute sur leurs sentiments réciproques (des mois de fréquentation assidue, l’acharnement dont ils font preuve tour à tour pour rester proches, les cinq année de recherches entreprises par Montriveau, les lettres enflammées envoyées par la duchesse après l’enlèvement, son renoncement et le risque de perdre sa réputation…), je reste persuadé qu’au-delà des apparences, ces deux-là n’ont fait que jouer l’un avec l’autre. Un jeu cruel et vaniteux dans lequel la duchesse ne s’intéresse au général qu’en raison de l’amour qu’el le porte à sa propre personne. Quant à l’acharnement qu’elle met à le reconquérir, je l’attribue à une volonté farouche de ne pas perdre la face. Pour Montriveau, cette femme d’abord aimée devient au final un ennemi à briser coute que coute. Il n’y a là à mes yeux que calcul, vengeance, amour-propre blessé et coups-bas. Il suffit de voir la dernière scène où tout le soufflé retombe dans un plouf final qui ne semble pas perturber plus que cela Montriveau, ce dernier tirant un trait définitif sur cette soi-disant idylle avec une facilité déconcertante.

Sans doute mon point de vue est discutable, mais s’ils s’étaient vraiment aimés, il me semble qu’ils se seraient jetés dans les bras l’un e l’autre, point barre. Finalement, ils n’ont été amoureux que d’une obsession et écrasés l’un comme l’autre par leur vanité. C’est là que réside le tragique de leur histoire, dans cette partie d’échecs où se sont succédés calcul et ressentiment.

Reste la beauté de l’écriture de Balzac, la préciosité de ces dialogues un brin désuet et ce décor de boudoirs et d’hôtels particuliers parisiens qui symbolisent toute une époque. A signaler aussi la misogynie de l’auteur qui dresse un tableau peut reluisant des femmes du grand monde, les peignant en sylphides superficielles et intrigantes, « allumeuses » au cœur de glace. Une vision caricaturale à l’évidence aussi assumée que revendiquée (d’après ce que j’ai lu dans la préface, il a rédigé la nouvelle alors qu'il sortait d’une déception amoureuse avec Mme de Castrie, une coquette de Saint-Germain qui l’avait traité avec le plus grand mépris). Et si finalement La duchesse de Langeais n’était qu’un texte plein de rancœur rédigé par un homme blessé ?
jerome60
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le 30 juil. 2012

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jerome60

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