Bon, n'y allons pas par quatre chemins : ce livre est génial. Je lui avais attribué 8 à la fermeture du bouquin. C'est finalement un 9 car c'est grandiose dans la folie, le détail et le réalisme.


Contrairement à certaines critiques lues dans les parages j'ai adoré cette "lente" progression dans le récit... Comme on en arrive à faire corps avec cette moiteur tropicale, véritable personnage du récit, et à lutter pour une bouffée de fraicheur ou de compréhension dans ce pays étranger et en ces temps nouveaux. J'ai également trouvé le final très bien, haletant et tout et tout, mais comportant peut-être quelques tiroirs de trop.


Venons-en à l'histoire ! Le récit nous propose de suivre une pléthore de personnages, aussi divers que variés, dans un royaume de Thaïlande complètement refermé sur lui-même. Le monde a sombré dans le chaos* suite à de nombreuses nouvelles épidémies touchant l'humain, le végétale et l'animal; des manipulations génétiques à répétition ayant ouvert des brèches dans lesquelles de nouveaux fléaux ont sauté à pieds joints (Cibiscose, rouille vésiculaire, charançons transpiratés, etc.). La nourriture et l'énergie dépendent de semences industrielles pour une majeure partie.


On ne connait pas bien la situation au niveau mondial; le japon est encore une puissance, les bandeaux verts -violents et conquérants- tiennent la Malaysie, une partie du Midwest américain et de la vieille Europe est le siège de grandes multinationales de semences génétiquement modifiées (Les Calories comme on appelle ces compagnies dans le livre), l'Inde a un certain poids mais à peine esquissé, le peuple chinois a été massacré en Malaysie et reste présent en Thailande mais est à peine toléré (mais quid du pays Chine?). Et pour clôturer le paysage, l'énergie fossile n'est plus; plus de pétrole et un peu de charbon concentré chez les immensément riches et l'armée.


Nous débutons l'histoire en suivant Anderson Lake sur un marché de Bangkok. C'est un farang (un blanc), directeur d'une usine à ressorts AR (sorte de mécanisme qui permet d'emmagasiner l'énergie musculaire dans un ressort) dans le royaume étriqué, suspicieux et peu accommodant de Thailande. Anderson travaille en fait sous couvert pour les Calories et cherche des signes de résurgence d'espèces végétales disparues. C'est donc en quelque sorte un espion biologique. Apparaîtront ensuite rapidement au fil des chapitres : Hock Seng le chinois (l'intendant de l'usine AR et réfugié de Malaysie), Ekimo, Mai, Raleigh, Kannika, Jaidee, Kanya, Carlyle, Pracha et bien d'autres, jusqu'au mystérieux Gi Bu Sen.


Oui, l'histoire est multiple et tissée de fils et de nœuds complexes. Le génie de l'auteur étant de mêler le personnel, le vécu de chacun de ses personnages, à la trame des événements politiques (et commerciaux). On aborde ainsi des référents nouveaux petit à petit par le biais de leurs déambulations et déboires multiples. Le texte est également truffé de mots "locaux" et de néologismes liés au développement technologique et religieux de son univers mais cela passe bien, grâce encore une fois à ce rythme "naturel" (et rendu poisseux par la chaleur tropicale). Dépaysement garanti ! (et un coup de chapeau à la traductrice au passage !)


C'est un récit noir et violent mais il ne sombre pas dans la trame toute faite, dans l'histoire bien rôdée, dans les petits blocs bien construits et bien mis en place. Il est plein de surprises et pour ses personnages et pour le lecteur. C'est osé et pointu mais pourtant abordable et compréhensible. Très technologique mais toujours sous un angle (in)humain.


Du grand art et une anticipation techno-biologique (mais aussi sociétale) de premier ordre.


*EDIT : en fait le monde est passé en contraction par manque de pétrole et les cartes géopolitiques ont été redistribuées. Cela rend plus le monde évoqué par l'auteur, qui ne fait ni l'apologie du passé, ni ne sombre dans un manichéisme facile, ni ne prend le raccourci rapide de la violence et du chaos généralisé. Le monde a évolué -point.


**EDIT : Je vous conseille de lire la critique de Von_K qui plante le décors avec beaucoup plus de justesse que je ne suis arrivé à le faire: http://www.senscritique.com/livre/La_Fille_automate/critique/36073593



Quelques extraits:



« Dans la moiteur étouffante du soleil tropical, entre les grognements des buffles d’eau et les cris des poulets mourants, il est au paradis. S’il était grahamite, il tomberait à genoux pour remercier, extatique, la saveur du retour d’Éden. »


« Pourtant, Jaidee a pitié d’elle. Même les gens les plus pauvres sourient parfois. Kanya ne le fait presque jamais. Ce n’est pas naturel. Elle ne sourit pas quand elle est embarrassée, quand elle irritée, quand elle est en colère. Ce manque total de savoir -vivre embarrasse les autres, c’est pourquoi elle a fini dans l’unité de Jaidee. Personne d’autre ne la supporte. Ils font une paire bien étrange. Jaidee qui trouve toujours une raison de sourire et Kanya dont le visage est si froid qu’on aurait tout aussi bien pu le tailler dans le jade. Jaidee sourit à nouveau, envoyant de la bienveillance à son lieutenant. »


« Il est difficile de voir la cité des êtres divins autrement que comme un désastre en devenir. Mais les Thaïs sont entêtés et se sont battus pour protéger de la noyade leur cité sainte de Krung Thep. A l'aide de pompes alimentées au charbon, du barrage et d'une fois profonde dans la conduite visionnaire de la dysnatie Chakri, ils sont jusqu'à présent parvenus à retenir ce qui a englouti New York et Rangoon, Mumbai et la Nouvelle-Orléans. »


« Ils courent comme des tigres pâles sur le champ d’atterrissage, laissent derrière eux les carcasses des conteneurs japonais déversés comme les débris après un typhon. Les voix des hommes des douanes deviennent inaudibles. Jaidee est loin devant eux, il sent la joie de ses jambes bondissantes, le plaisir du devoir propre et honorable, il court plus vite, toujours plus vite, ses hommes derrière lui. Ils couvrent la distance qui les sépare de leur but avec l’adrénaline du guerrier, lèvent leurs machettes et leurs haches vers la machine géante qui descend dans le ciel, qui les surplombe comme le roi démon Tosacan de trente mille mètres de haut. Le mastodonte des mastodontes, et sur son flanc, dans l’alphabet des farang, les mots : CARLYLE & FILS. »


« Qui êtes-vous ?
Des nouvelles personnes.
Où est votre honneur ?
Il est mon honneur de servir.
Qui honorez-vous ?
J’honore mon propriétaire. »


« Cela pourrait-il être la cibiscoce ? La rouille vésiculeuse ? Non. (Il secoue la tête.) Je suis un vieil homme stupide. Ce n’est ni l’un ni l’autre. Il n’y a pas de sang sur leurs lèvres. »


« Emiko titube un peu, s’appuie contre la balustrade, observe son objectif.
Idiote ! Pourquoi tentes-tu si fort de survivre ? Pourquoi ne sautes-tu pas vers la mort ? Ce serait tellement plus simple. »


« C'est la forme de notre monde, se dit-elle. Dent pour dent jusqu'à ce que nous soyons tous morts et que les cheshires lapent notre sang. »

Fredk
9
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le 18 août 2014

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Fredk

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