Incontournables Février 2023


Je garde un œil vigilant sur la sympathique collection Deuzio depuis un moment déjà, puisque bon nombre de ses membres ont été des incontournables précédents. "La fille en poils de chien" rejoint donc ce groupe. Avez des gravures, sa culture slave et sa nature nordique impitoyable, ce petit roman nous livre le récit d'une enfant et d'un chien husky ayant fait le pari de survivre ensembles. C’est une histoire sur la résilience humaine, la dualité que représente la capacité à se souvenir, ainsi que le sens de l'amitié.


Zeeva a fuit son village, attaqué et brûlé. Quand elle trouve refuge dans une grotte, elle croise la route de ce qu'elle prend d'abord pour un loup, mais qui est en réalité un chien de traineau. Grand Chien était chien de tête dans l'attelage auquel il était dévoué, mais son âge l'a un jour confiné à l’enclos. Il a préféré fuir. Zeeva et lui peuvent communiquer ensemble, et trouve chacun leur tâche. Grand Chien rapporte la viande; Zeeva emplois ses mains habiles et ses idées. Avec son peigne, elle retire les vieux poils de la fourrure de Grand Chien, et avec l'aide de l'eau de la source, au fond de la grotte, elle se confectionne du feutre, lequel deviendra un habit de poils de chien: Son billet de sortie pour l'hiver et ses ressources. Mais la survie n'est pas chose aisée sur ces terres de sybérie. Grand Chien prend des risques, car il chasse de moins en moins bien, usé et moins habile. Quand un jour il ne revient pas, Zeeva se risque à retrouver les humains. C'est cela ou mourir de faim. Alors qu'elle retrouve Grand Chien dans un enclos, elle se fait attraper par un homme, dont la force ne peut rivaliser avec son corps affamé. C'est néanmoins ainsi qu'elle se fait adopter. Mais pour Zeeva, qui reprend peu à peu sa place dans sa nouvelle famille et communauté, son esprit tente à la fois d'oublier et se se souvenir. L'équilibre est peut-être quelque part entre les deux.


La devise du Québec est "Je me souviens". Nous nous souvenons en mémoire de nos aïeux, de leur travail acharné pour bâtir la province, dans un pays nordique au froid aussi ravageur que l'est celui de la russie. Nous nous souvenons aussi pour ne pas oublier les dérives et oppressions des anglais et de l'église, qui a laissé volontairement les habitants dans l’ignorance, la pauvreté et la peur. Enfin, nous nous souvenons pour ne pas, espérons, reproduire les mêmes erreurs. Mais tout comme dans cette histoire, il existe un équilibre délicat entre ces souvenirs qu'on voudraient se défaire, parce qu'ils portent des sujets sensibles, des souffrances et des fautes gênantes qu'on préfèrerait oublier, et ceux qui au contraire font notre fierté, notre union collective et notre identité, ceux que nous voulons sans cesse ramener en mémoire. Se souvenir est donc fastidieux, un difficile exerce d'équilibrisme, mais néanmoins fondamental, autant pour l'individu que pour la communauté, car il s'inscrit dans la construction de ce que nous sommes, comment nous nous définissons, mais plus important encore, comment nous avançons. Pour Zeeva, il y a sa volonté de ne plus se souvenir de ce jour où elle a tout perdu, mais aussi de sa vie dans la forêt. En même temps, elle a vécu des choses qui l'ont forgée, endurcie et faire murir. Mieux encore, elle a développer une relation sincère et complémentaire avec Grand Chien, qui ont su user de leurs forces et s'encourager mutuellement. Donc, oublier totalement reviendrait à oublier aussi bien ce qui est positif et remarquable, mais également le négatif constructif. On a tendance à l'oublier facilement, mais après coup, les moments pénibles et les obstacles nous apparaissent comme des apprentissages et ils mettent en lumière nos forces beaucoup aisément que dans nos moments paisibles.


Ce qui m'amène à parler de la résilience. Elle nait des moments pénibles et des obstacles, elle met en lumière les forces qu'on ne se soupçonnait pas et pour cause: elle nous met au défis. On s'en passerait bien, mais au final, la résilience est possible que si nous sommes poussés en dehors de nos zones de confort et bouscule nos limites. Et quelles limites dans le cas de Zeeva! Non seulement perd-t-elle tous ces repères et son foyer, elle est soumise au climat rude d'un pays hivernal. Et très jeune en plus, elle n'a que dix ou onze ans. Aucuns enfants ne devrait avoir à vivre pareille détresse, mais hélas, ça arrive plus souvent qu'on le croit. Ces enfants, tout comme Zeeva, vieillissent alors d'un coup, se rerouve avec des responsabilités importantes et doivent se débrouiller seuls. Heureusement, dans son malheur, Zeeva rencontre Grand Chien, qui a la sagesse de son âge et le pragmatisme de son espèce. Il lui apport autant de réconfort thermique qu'affectif. Surtout, c'est une présence bienveillante, qui apport de l'espoir. La résilience de Zeeva est aidée par ces éléments, ces facteurs aidants. Elle gagne en confiance sous sa tutelle, elle se sent valorisé dans leur "attelage" comme il l'appelle. Chacun son rôle, chacun ses forces. Jamais il n'évoque les faiblesses, il mise sur les habiletés et insiste sur leur importance. À sa façon, Grand Chien est sage et il aura été par sa présence un élément majeur dans la survie psychologique et physique de celle qu'il appelle "Petite Fille". La résilience, enfin, est l'une des grandes qualités du vivant, humains compris.


Zeeva connait deux "vies", celle avec Grand Chien, dans leur grotte et avec l'Hiver, et une seconde avec la famille russe qui l'adopte. Quand elle réintègre progressivement le monde humain, son esprit revient à sa première vie, ainsi qu'à celle avec Grand Chien. Mais ce que je remarque est que ce qu'elle s'est découvert dans les bois lui sert maintenant. Elle est également capable de "laisser aller", que ce soit son attachement aux objets ou à ses souvenirs. Maintenant qu'elle retrouve la chaleur d'un foyer, elle a le loisir maintenant de réfléchir. Elle se perd souvent dans la contemplation des étoiles, elle se rappelle la constellation du chien a qui elle trouvait qu'il lui manquait une étoile de plus pour lui faire une tête. Zeeva hésite, mais elle veut connaitre le sort de Grand Chien. Mais quand elle remet son habit et le retrouve dans le village voisin, elle apprendra une leçon supplémentaire de sa part: ce qui semble le mieux pour un être vivant n'est pas forcément ce que ce même être vivant trouve de mieux. Employé comme "mentor" aux chiens plus jeunes, nourrit et logé, Grand Chien devrait être comblé, dans un sens. Mais pour lui, rien ne vaut la liberté de faire ses choix, sans chaines. Lorsque Zeeva lui propose de vivre ensemble dans son nouveau foyer, Grand Chien la devance en lui projettant l'état de leur relation telle qu'elle serait alors: celle d'une maitresse avec son chien. Une relation de dominant-dominé, non pas la relation égalitaire qu'ils avaient en tant que meute à deux. Cette partie était intéressante, car elle adresse la nature d'une relation. On pourrait extrapoler en disant qu'une amitié réelle et sincère ne subit pas l'affront d'une hiérarchie. L'amitié sous-tend une égalité dans le rapport entre les membres, voir une complémentarité. Prendre des décisions pour l'autre, lui imposer sa vision de voir et de faire, ne sont pas des actes d'amitié, à moins de question de vie ou de mort. En ce sens, voir Zeeva le comprendre et aller dans le sens de son amitié en libérant Grand Chien, était donc un acte d'amitié, voir un acte d'amour. On peut aimer ses amis, sincèrement, ce n'est pas un acte réservé aux couples. Et ce n'est pas un acte réservé aux humains seuls.


Enfin, la capacité des gens à rebâtir leur vie, même après des drames, est en soi remarquable. Mais il importe de souligner ici la présence d'une famille qui l'est tout autant. Je remarque chez les nouveaux parents de Zeeva une bienveillance lumineuse et sincère, nullement motivée par le gain, gainée de patience, de tendresse, d'encouragement et d'empathie, autant de la part de la maman que du papa. Ce dernier semble même avoir une certaine intuition quand il s'agit de Zeeva, concernant Grand Chien. Et il ne rechigne pas à lui montrer son travail manuel. La bienveillance est un grand facteur de résilience, un des plus importants.


Étonnant comment même les textes les plus simples ( pas "simpliste"!) peuvent être aussi les plus efficaces. Écrit majoritairement au présent de l'indicatif, un choix logique pour un récit de survis, dans "L'ici et maintenant", les phrases sont courtes, les structures simples, le vocabulaire également accessible. J'aime bien ce style épuré et simple, très en équation avec les personnages, un chien et une jeune fille. Le style me rappelle un peu les haïkus, poèmes très simples en peu de mots, avec un rythme régulier un brin rythmé. Je pense que ce genre de livre trouvera aussi bien preneur chez nos lecteurs habiles que pour ceux et celles qui le seraient moins ou dont le français est une langue seconde. Avis aux professeurs qui ont ces deux groupes de lecteurs?


Vous trouverai aux détours des pages des gravures, en noir et blanc, avec leurs hachures caractéristiques. Un bon médium, je trouve, pour cette histoire où le blanc du poil de Grand Chien et la neige côtoie les troncs et la nuit. Cela lui confère aussi une aura sérieuse un brin mélancolique, à la manière des œuvres qui traversent le temps.


Pour finir, notamment grâce aux objets, aux plats et aux prénoms, sachez que nous sommes quelque part en Russie, un lieu encore relativement peu exploité en littérature jeunesse dans un océan de livres issu des États-Unis, d'Angleterre et de France.


Un autre bel ajout aux petits trésor de la collection Deuzio de la maison belge Alice.


Pour un lectorat à partir du second cycle primaire, 8-9 ans.

Shaynning

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