On ne dénoncera jamais assez les ravages causés par l'impiété et l'hérésie dans notre triste époque obscurantiste. On ne les compte pas, les faux prophètes adorateurs d'idoles moribondes et autres consternants matérialistes, vautrés dans le stupre et la fornication, et qui font de leur néant spirituel une preuve d'intelligence. Mais ces gens-là se trompent, bien sûr ; et le plus effarant est sans doute qu'ils rejettent Dieu alors même que Celui-Ci, dans Son infinie bonté, nous fait l'honneur de vivre parmi nous... Moi-même, je confesse m'être longtemps complu dans l'ignorance. Mais l'Illumination survint un beau jour, et, depuis, si je ne me suis pas encore aventuré à lire L'Épargne des ménages, j'entends cependant parfaire ma théologie en lisant régulièrement l'œuvre du Divin Gérard Klein.

C'est ainsi que j'ai pu vous entretenir, mes bien chers frères, de Son récent recueil de nouvelles Mémoire vive, mémoire morte ; peut-être vous en souvenez-vous, j'avais dans l'ensemble apprécié cette bible, mais ne pouvais pour autant prétendre avoir été subjugué par la Révélation transcendante. Peut-être le Gérard Klein romancier me ferait-Il davantage d'effet ? J'envisageais donc de lire Les Seigneurs de la guerre, roman généralement fort loué dans les chapelles kleinistes orthodoxes. Mais Dieu m'a parlé, et m'a recommandé prioritairement la lecture d'un autre recueil de nouvelles, La Loi du talion, publié originellement en 1973. Ainsi fis-je, car, miracle ! quelques jours plus tard à peine, alors que je déambulais innocemment entre les étals de bouquinistes place du Capitole, un rayon de soleil m'indiqua ce volume, nimbé d'un halo diaphane, dans sa première édition en poche (1979). Loué soit le Seigneur !

Je n'ai appris qu'ultérieurement (à vrai dire, à l'heure même où je rédige cette note indigne de son sujet) que cette édition, étrangement, comprend deux nouvelles de moins que l'originale et toutes les autres rééditions (« Ligne de partage » et « Les Virus ne parlent pas » ; l'introduction du Maître n'y figure pas davantage, à moins qu'il ne faille envisager ainsi le post-scriptum de la page 7 – pas vraiment post pour le coup –, mais j'ai comme un doute). Zob ! (Si le Divin Gérard Klein veut bien me passer l'expression.) Mais pourquoi donc ? Il faudra bien faire avec, cependant...

Mais cessons-là toute flagornerie, et envisageons honnêtement ce recueil. Pour faire simple, je pourrais résumer ainsi mon impression : La Loi du talion est un bon recueil, bien meilleur à mon sens que Mémoire vive, mémoire morte, et qui contient quelques très bonnes nouvelles, à la tonalité généralement assez tragique (même si l'humour ne manque pas à l'appel) ; certes, je n'en ferai pas un chef-d'œuvre incontournable (pardonnez-moi Seigneur, je ne sais pas ce que je fais !), mais je noterai néanmoins qu'il se situe bien au-dessus du lot, et séduit par certaines audaces formelles, lorgnant vers la poésie ou la méta-fiction, qui viennent régulièrement surprendre le lecteur et font toute l'originalité de ces nouvelles par ailleurs très classiques (oserais-je dire « old school » ?) pour ce qui est du fond. Ce recueil témoigne en effet des indéniables préoccupations stylistiques et structurelles de Gérard Klein, avec plus ou moins de réussite, soit, mais cela suffit pour le distinguer heureusement du tout-venant science-fictionnel d'alors comme d'aujourd'hui.

Détaillons maintenant, dans l'ordre où ces nouvelles sont présentées (ordre qui diffère là encore de celui des autres éditions, au-delà des lacunes ; mais pourquoi, bis ?). Avec une petite friandise aigre-douce en guise d'apéritif, « Cache-cache » (p. 5), sympathique short short qui m'a beaucoup fait penser à la manière du grand Fredric Brown.

On passe à quelque chose de bien autrement long avec « Les Blousons gris. Fragments pour l'intelligence d'une crise historique » (pp. 7-83). L'idée de base est assez simple : à Paris, tous les soirs depuis quelques jours, les rats se déversent par milliers dans les carrefours quand le feu passe au vert. Il en résulte inévitablement un massacre de rongeurs, mais cela ne les empêche pas de revenir tous les soirs, plus nombreux que jamais. Et la circulation s'en ressent... Mine de rien, les rats provoquent ainsi une grave crise, et suscitent la panique. Il faut bien faire quelque chose, mais quoi ? Négocier, peut-être... A l'aide du fameux enfant-rat ? TSK TSK TSK ! Voilà qui autorise une satire dans l'ensemble très amusante, mais qui s'éternise peut-être un peu trop, et se montre plus ou moins convaincante... Cela dit, cette longue nouvelle ne manque pas d'intérêt ; sa construction en fragments, témoignages, coupures de presse, etc., est assez bien vue, et son ironique fin ouverte est pour le moins audacieuse : subtile mise en abyme de la création fictionnelle et du rôle du lecteur, ou pur foutage de gueule ? A mon tour, je vous laisse le soin de trancher...

La nouvelle suivante, « Avis aux directeurs de jardins zoologiques » (pp. 84-128), quand bien même elle diffère grandement, m'a de nouveau séduit davantage pour ce qui est de sa forme et de son contenu éventuellement « méta-fictionnel » que pour son prétexte on ne peut plus classique. Ce texte ne manquera en effet pas d'évoquer une certaine « proto-science-fiction », pas toujours bien distinguée encore du fantastique, quelque part entre Poe et Lovecraft, avec une touche de Wells (référence explicite). Le procédé de base est classique : la nouvelle prend la forme d'une lettre dans laquelle l'auteur explique aux destinataires les circonstances pour le moins étranges dans lesquelles il est entré en possession d'un manuscrit contant une histoire parfaitement délirante de subversion extraterrestre au Jardin des Plantes ; ledit texte figure ensuite dans la communication. Jusque-là, rien que de très banal ; c'est fort sympathique, cela dit, avec juste ce qu'il faut de délire verbeux et de naphtaline dans le ton. Mais le plus intéressant, cependant, est le commentaire final de l'auteur de la missive, s'interrogeant sur la véracité de l'improbable récit qu'il vient de rapporter : témoignage authentique de faits réels ? Journal d'un fou ? Grossier canular ? Afin de déterminer la vérité, le correspondant entreprend de disséquer le style du manuscrit en long et en large. Et ça, c'est remarquable, et fait avec une certaine distance ironique tout à fait appropriée...

Le texte suivant est bien plus classique. Gérard Klein, avec « Réhabilitation » (pp. 129-158), s'il emprunte là encore la forme épistolaire, lorgne cette fois du côté du space opera militaire. La guerre et son cortège d'absurdités et d'hypocrisies... Rien que de très banal, mais ça se lit bien.

Reste que le texte suivant, « Sous les cendres » (pp. 159-202), est à mon sens bien autrement intéressant, jusqu'à constituer à mes yeux le point d'orgue du recueil. Un très beau moment de science-fiction poétique, touchante et terrible, cruelle et sombre. Je n'en dis pas plus, ce serait dommage (même s'il ne s'agit pas vraiment d'une nouvelle à chute...). Une excellente nouvelle, vraiment.

Après quoi, je dois dire que « Jonas » (pp. 203-238) m'a paru nettement moins convaincant ; si les bonnes idées ne manquent pas, si l'atmosphère désabusée et vaguement surréaliste n'est pas déplaisante, cela n'en reste pas moins une énième variation à la fois de l'histoire de Jonas et de Moby Dick, qui n'apporte pas forcément grand chose, je trouve... Bon...

« La Loi du talion » (pp. 239-291) m'a paru plus attrayante, quand bien même elle ne se montre finalement guère originale. Une amourette qui tourne mal entre un humain et une extraterrestre, bon... Plus intéressante est la thématique (oserais-je le dire ?) juridique, posant la question du droit applicable aux relations entre espèces si différentes ; le cadre artificiellement métissé et en même temps tout en non-dits est intéressant, et la problématique, a fortiori dans sa dimension pénale (où ressort donc la fameuse loi du talion – à propos de laquelle on dit généralement beaucoup de bêtises, d'ailleurs, mais bon, là, ça va ; même si son caractère « naturel » et compréhensible par tous est pour le moins critiquable...), me parle énormément (j'ai l'impression, d'ailleurs – mais peut-être faut-il mettre cela sur le compte de mon inculture crasse ? – que cette thématique qui pourrait être si riche n'est finalement guère employée en science-fiction, en-dehors de quelques allusions chez des auteurs « ethno-SF » type Ursula Le Guin ou Jack Vance ou, plus récemment, du quelque peu frustrant Les Disparus de Kristine Kathryn Rusch... Si quelqu'un a des références, je suis preneur). Deux notes en passant : 1° L'Andromaque des pp. 254-255 est un très grand moment ; 2° La nouvelle est illustrée par un dessin réalisé semble-t-il de manière totalement indépendante par Jackie... pardon, Jacquie Paternoster (p. 272), heureusement dans sa période pré-Bryce, dessin que le Divin Gérard Klein a trouvé « très beau » (p. 4) : serait-ce donc là que tout a commencé ? ... je crois qu'on tient un beau sujet d'uchronie...

Pas grand chose à dire, par contre, sur la dernière nouvelle, « Les Créatures » (pp. 292-310) : un écrivain confronté à ses personnages... Correct, mais déjà lu.

Quoi qu'il en soit, La Loi du talion est un recueil assez intéressant, mêlant classicisme et audaces avec un talent certain. Bien plus convaincu par ce recueil que par le plus récent Mémoire vive, mémoire morte, j'ai donc d'autant plus de raisons de poursuivre la découverte de l'œuvre du Divin Gérard Klein. La suite, ce sera donc probablement Les Seigneurs de la guerre (ben si, quand même...).
Nébal
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le 27 oct. 2010

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