"La Lutte" de Mathieu Poulin est une œuvre remarquable qui méritrait d'être plus connue. L'auteur nous plonge dans l'univers fascinant du catch, mais pas seulement. C'est avant tout une plongée profonde dans les méandres de la lutte sociale, avec une histoire qui ne manque pas d'intelligence.
L'intrigue, centrée sur un étudiant qui abandonne sa thèse pour suivre sa passion pour le catch, se révèle être bien plus qu'une simple histoire de ring. Poulin réussit à tisser habilement les fils d'une lutte syndicale au sein d'une fédération de catch à Montréal. La thématique du catch comme d'un "sport truqué" pour les uns, ou d'une "suspension consentie de l'incrédulité" pour les autres prend alors toute sa pertinence lorsqu'elle est mise en perspective avec les combats politiques pour les droits sociaux. L'idée de créer un syndicat dans ce milieu atypique offre donc non seulement une perspective originale et captivante, élevant le récit au-delà des clichés habituels du genre, mais permet de faire des parallèles savoureux et profonds entre monde politique et monde du catch.
La gestion antisyndicale et paternaliste du gérant de la fédération crée une tension constante. Poulin montre comment une lutte sociale authentique peut être captée par les forces libérales qui sont prêtes à tout pour maintenir leur position de force. Le gérant va ainsi faire de cette lutte syndicale le thème principal de sa nouvelle saison, dupant autant les catcheurs que les spectateurs. L'horizon politique se floute, les revendications politiques deviennent des gimmicks de combat, faisant ressentir la façon dont la politique spectacle peut travestir certaines luttes qui elles n'ont rien de factice.
Le livre est rempli d'humour. L'utilisation astucieuse des noms de lutteurs, tels que "Géant Vert" et "Le Gros Bon Sens", ajoute une couche de facétie à l'histoire et renforce sa dimension légère et humoristique. On en saurait s'empêcher de penser aux spectacles des guignols, tradition ancienne de moquerie des dominants par les plus démunies. Les références à différents engagements politiques (écologisme, égalité femme-homme, libéralisme, capitalisme, féminisme libéral, féminisme anticapitaliste, etc.) apportent une dimension politique qui donne matière à réflexion tout en rendant les personnages plus mémorables.
La mise en scène des luttes syndicales pendant les matchs de catch est haletante. Poulin parvient à capturer l'intensité des confrontations tout en offrant une critique subtile de la manière dont les enjeux sociaux peuvent être exploités à des fins lucratives. Les matchs deviennent ainsi des arènes où se jouent des luttes bien plus profondes que les simples prises et acrobaties.
La manière dont l'auteur explore les motivations de chaque personnage manque parfois de finesse lorsqu'on s'éloigne du protagoniste principal, mais l'exagération semble faire partie de la volonté de l'auteur, à la manière d'un match de catch.
En somme, "La Lutte" de Mathieu Poulin est un roman captivant qui marie habilement le monde du catch à des questions sociales et politiques pertinentes. L'écriture fluide et immersive de l'auteur, combinée à une intrigue intelligente et bien construite, propose une nouvelle lecture, à la suite de Roland Barthes, du catch comme d'un sport profondément politique, ou plutôt, de la lutte politique comme d'un sport dont la véracité et les règles ne sont pas si impartiales qu'on ne le prétend.