1. Lorsque le Commonwealth de Sibérie revendique la possession de l’Etat Libre d’Alaska, les Forces militaires des Nations Unies décident de frapper les sites de lancement de missiles sibériens situés au fond de l’océan Arctique. L’énergie dégagée par les explosions libère dans l’atmosphère des milliards de tonnes de méthane, ce qui multiplie en quelques jours l’effet de serre et le réchauffement climatique. Un cyclone géant d’une ampleur jamais vue se forme dans le Pacifique…


La Mère des tempêtes est un roman dans lequel on entre à reculons : le titre, les diverses illustrations, le quatrième de couverture, … tout fleure bon le téléfilm-catastrophe bon marché. Bien sûr, l’action militaire qui déclenche des catastrophes naturelles en série est un prétexte pour accélérer le réchauffement climatique et nous transporter dans un avenir indéterminé (et peut-être plus proche qu’on ne le pense). Notons bien que cela évacue de facto la question : que peut-on faire pour éviter d’en arriver là ? Le thème du roman est ailleurs, dans la structure classique du scénario-catastrophe : après l’événement déclencheur, le cataclysme prend forme et grandit lentement avant de se déchaîner, les destructions spectaculaires se succèdent et les morts se comptent par centaines, puis par milliers, puis par millions… Et pourtant, John Barnes réussit à construire sur cette trame vermoulue un excellent roman.


Tout d’abord, les fléaux qui s’abattent sur les populations sont vécues à hauteur d’hommes et de femmes, qu’ils s’agissent de victimes ou de survivants. Pas ou peu de figurants anonymes ici, mais des tranches de vie (et de mort) saisissantes qui nous font ressentir l’horreur des dévastations, loin des chiffres abstraits des bilans comptables des bulletins d’informations. D’une certaine manière, l’auteur réussit à individualiser plusieurs millions d’expériences et de réactions face au déchaînement des éléments. Le lecteur va donc vivre les raz-de-marée, les ouragans, les inondations et les glissements de terrain, comme s’il y était.


Ensuite, les personnages principaux sont nombreux, plus d’une dizaine, et ils sont tous travaillés, subtils, plein de nuances, attachants ou repoussants, aucun ne sombre dans la caricature ou dans la facilité. Grace à eux, nous pouvons vivre l’histoire à de multiples niveaux, et comme l’auteur passe rapidement de l’un à l’autre, le rythme de la narration est très agréable. De plus, le récit est bien maîtrisé et la lassitude ne s’installe à aucun moment, Barnes nous réservant même des rebondissements jusque dans les dernières pages.


Mais ce roman ne se contente pas de nous parler de catastrophes climatiques. Il intègre également de nombreuses dimensions supplémentaires, comme par exemple le transhumanisme, le rôle des médias et leur rapport au monde politique et économique, et une critique subtile et savoureuse de l’industriel providentiel et des militants de la morale écologique. Plutôt pas mal pour un roman écrit en 1994 ! Tous ces éléments complémentaires ne sont pas accessoires, loin de là, car le propos de l’auteur n’est pas simplement de raconter une catastrophe. Il veut surtout nous parler de la diversité des réactions possibles des êtres humains face à l’Apocalypse, et de l’impact sur les sociétés humaines d’un désastre écologique qui menacerait la survie de l’espèce.


Pour ne rien gâcher, il y a un remarquable talent littéraire dans certains passages brillants, d’une écriture simple, sans esbroufe mais qui fait souvent mouche. Il est très étonnant que ce roman soit si méconnu aujourd’hui, car il pourrait être un des livres culte de la jeune génération qui met la question climatique au premier plan de ses préoccupations, au même titre que Sur la route de Jack Kerouac ou En terre étrangère de Robert Heinlein l’ont été pour les hippies.


Nominé pour le prix Hugo du meilleur roman en 1995, La Mère des tempêtes n’est pas un roman exempt de défauts. On pourra lui reprocher un certain américano-centrisme, une envie récurrente de l’auteur de nous parler de certains lieux qu’il a visités en y situant son action de manière parfois un peu incohérente. On y trouvera également certaines longueurs, particulièrement dans l’épilogue, et certains trouveront déplorable le rôle central joué par un deus ex machina technologique. Mais si ce roman n’est pas un chef d’oeuvre, il n’en reste pas moins une excellente surprise.


John Barnes : La Mère des tempêtes – 1994


Originalité : 3/5. Un scénario-catastrophe vu et lu mille fois, mais au traitement remarquablement riche et palpitant.


Lisibilité : 4/5. Rythmé sans être trépidant, il est très difficile de lâcher ce livre une fois qu’on l’a commencé, malgré quelques longueurs inutiles.


Diversité : 4/5. De nombreuses problématiques sont abordées, et autant de points de vue différents.


Modernité : 6/5. Conséquences du réchauffement climatique, transhumanisme, rôle des scientifiques, des médias, des politiques, racisme, pauvreté, sexisme, ce livre écrit en 1994 est un des romans de notre époque.


Cohérence : 3/5. Délicate résolution de la trame narrative, où certains verront une solution magique offerte par la Science. Une lecture plus objective stimulera de diverses manières la réflexion sur notre avenir proche.


Moyenne : 8/10.


A conseiller si vous cherchez une illustration des principales angoisses de notre temps.


https://olidupsite.wordpress.com/2019/12/30/la-mere-des-tempetes-john-barnes/

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le 9 mars 2022

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