Un jeune homme, Hans Castorp, rend visite à son cousin à Davos dans un sanatorium mais finit par demeurer lui aussi de manière prolongée dans ce lieu qui semble hors du temps. Il ne sert à rien de développer un peu plus le résumé de l'intrigue car celle-ci reste mince et finalement pas essentielle au roman. Thomas Mann se sert du récit pour réfléchir avec bonheur sur le Temps et nous gratifier de considérations intéressantes sur ce dernier, sur notre perception de son écoulement. La Montagne magique prend parfois des allures d’œuvre proustienne mais cela reste trop furtif à chaque fois pour que l'on ait le temps de savourer cette similitude.

C'est le premier regret qui constitue notre impression après la lecture de ce long roman : les pensées développées par Hans Castorp ainsi que les échanges entre Settembrini et ce dernier ou entre Settembrini et Naphta sont beaucoup trop courts et l'on a le sentiment qu'à chaque fois que le récit prend une ampleur intellectuelle assez jouissive, l'auteur vient y couper court en relatant un passage ordinaire de la vie du sanatorium, au hasard une scène de repas ou de repos.
Bien entendu la répétition, la lancinante succession des même gestes et séquences vient appuyer l'effet de routine réconfortante, qui englobe les pensionnaires pour mieux les "emprisonner" et les inciter à rester. Mais ici cela s'étire sur près de 1000 pages et finit par repousser le lecteur qui trouvera de trop rares moments de s'extasier.

L'autre regret viendra d'une impression bizarre de ne pas savoir où l'auteur a voulu aller avec ce roman même après l'avoir lu en entier. Entre les chapitres obscurs (celui dans la tempête de neige), le rapport à la guerre mondiale en toute fin qui n'apporte pas grand chose à notre sentiment final et à notre rapport au personnage, et surtout la constitution d'une société à laquelle va s'intégrer notre personnage principal sans que lui-même n'arrive à garder une identité propre, le rendant lisse et ennuyeux par instant ; tout cela fait que Thomas Mann semble laisser avec ce récit une tranche de vie d'un monde à part, mais sur lequel il ne semble pas apporter de réflexion globale ni d'analyse réelle.
La Montagne magique, c'est le récit d'un homme qui arrive dans une société nouvelle, différente de celle qu'il connaissait, qui finit par s'en approprier les codes, ou plutôt qui finit par être assimilé par elle au point de ne plus pouvoir retourner à son ancienne vie, son précédent groupe social. Cela est-il suffisant pour développer un récit de cette envergure, qui n'étend guère plus qu'à travers une petite somme de réflexions sociales et politiques, voire religieuses ?

Cela dépendra sans doute du lecteur, de sa patience, de son appréciation d'un style malgré tout réussi, et de ses attentes aussi, sans doute. Sur ce point le quatrième de couverture fera très mal à beaucoup de gens tant il semble à côté de la plaque.
ngc111
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le 23 mars 2015

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