• Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, écrit Gustave en pensant un livre qu'il projette. Un livre qui fera scandale.


  • Il faut tout de même une histoire, le style c'est bien gentil ! Il faut aussi penser aux bambini !, s'insurge Italo. Tiens, pourquoi pas un enfant, un baron perché, qui passera, suite à une crise, toute sa vie dans les arbres ?


  • Moi, ce serait plutôt l'histoire d'un Joseph K, lui répond Franz, le nez perdu dans ses paperasses bancaires. Une histoire d'homme perdu, qu'on appellerait un arpenteur et qui chercherait un château. Ou mieux ! Mieux ! Un personnage désigné obscurément coupable et qui va le devenir à chercher à comprendre pourquoi. Après tout, l'homme est un marécage. Quand l'enthousiasme le prend, c'est, pour le tableau d'ensemble, comme si dans un coin quelconque de ce marais une petite grenouille faisait pouf dans l'eau verte.


  • Ah !, soupire Françoise, et que dire des merveilleux nuages ?

  • Non, non, non, intervient alors Michel, non, écoutez-moi ! Je vais essayer d'être clair: ce qu'il faut, c'est un livre de bonne foi ...

  • Qui m'appelle ?, se réveille un instant Yves avant de se rendormir

  • Un livre, continue Michel en ignorant la question, où mes parents et amis puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus vive, la connaissance qu'ils ont eu de moi. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice: car c'est moi que je peins !

  • Mais vous êtes affreux, s'exclame affectueusement Etienne, vous souhaitez donc écrire un livre sur vous-même et tout nous en dire ?

  • Certes, très volontiers, tout entier et tout nu !, affirme, fier, Michel

  • Mais qui donc ira lire un tel livre, mon cher ?, s'inquiète son ami.

  • Il est vrai, reconnaît Michel, c'est un sujet si frivole et si vain ...

  • Néanmoins, renchérit Jean-Jacques, l'idée n'est pas mauvaise ! Ce serait une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur ! Figurez-vous la chose, mes amis ! Montrer à ses semblables un homme dans toute la vérité de la nature et dire "cet homme ce sera moi. Moi seul." Être un moi universel, un exemple, si vous préférez, de ce qu'est l'homme et de ce qu'il veut taire le concernant !

  • Et pourquoi un homme d'abord ?, grogne Simone. Pourquoi pas une femme ?

  • Et pourquoi pas le peuple ?, corrige Emile.

  • C'est vrai, confirme Joris-Karl, pourquoi ne pas montrer un homme à la dérive, en rade, pauvre, solitaire, désabusé, aigri, à rebours du temps présent ?

  • Et pourquoi un homme d'abord ?, réitère Simone.

  • Hum, hum, opine André, pourquoi pas, en effet ? Pourquoi pas un livre sur tous ces pourquoi ? Et vous, qu'en pensez-vous, Jorge ?

  • Que d'autres se targuent des pages qu'ils ont écrites, répond son interlocuteur. Moi, je suis fier de celles que j'ai lues.

  • Mais tout cela n'est que du Temps perdu, conclut Marcel, mais du temps perdu en bonne perte !


C'est alors qu'intervint un jeune homme timide et souriant, caché jusqu'ici derrière le mur de la salle voisine.
- Excusez-moi, mesdames, messieurs, je n'ai pu m'empêcher de vous écoutez débattre et tous vos propos m'ont semblé intéressants. J'ai grâce à vous ambition d'écrire l'histoire d'un Joseph T, d'une trentaine d'année, en rade, divorcé d'avec sa femme, en manque de son fils, peinant à trouver sa vraie place ...
(petit sourie d'Annie)
- Assistant bibliothécaire ...
(petits clins d'oeil d'Alice et d'Umberto)
- qui va un jour de pluie monter dans la cabane construite avec son fils pour vivre, méditer et dormir dans un arbre, pour se rapprocher du ciel et obtenir sa part des nuages. Ce serait à la fois drôle et émouvant, classieux et vulgaire. Vous savez, je suis surtout poète. Donc, je travaillerai beaucoup la forme ...
(moue approbatrice de Gustave)
- et je bâtirai mon récit comme une suite de poèmes en prose, qui resteraient logiques et diraient l'indicible ressenti.
(applaudissement de Louis et Jean)
- Je suis un peu Joseph T, puisque son nom commence comme mon prénom. Mais je pense que vous êtes un peu comme vos personnages. Emma, n'est-ce pas vous Gustave ? Joseph K n'a-t-il pas votre nom, tronqué, Franz ? Donc, vous voyez, Michel, Jean-Jacques, que je saurai suivre votre exemple d'une manière différente.
(Ovation de l'assemblée autorale)


Thomas ouvre les yeux,. Réjoui. Rassuré.
Il a trouvé le sujet de son livre.
Le manuscrit. Le stylo. Les cartouches d'encre. Un effaceur (sait-on jamais). L'odeur du café de ce frais matin.
Il écrit.

Frenhofer
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le 28 déc. 2017

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