Loin de moi l'idée de plaindre une reine. Je vais pas me la jouer lutte des classes mais nous n'avons simplement pas les mêmes problèmes au quotidien. Elle est pas trop concernée par le chômage ou même par une mère qui ne veut que son bien. En plus, elle (la reine, pas ma mère) tire constamment la tronche : j'allais pas la pleurer ou la moquer.


Puis j'ai appris qu'elle ne lisait jamais. Là, c'était triste. Enfin, je ne suis pas allé lui demander personnellement, c'est Alan Bennett qui le dit dans La Reine des Lectrices, roman paru en 2007. Dans cette nouvelle, nous suivons la Reine dans sa découverte de la lecture la soixantaine passée.


La Reine, cette charmante anglaise


Un beau jour, la Reine promène ses chiens. Ceux-ci l'amènent de l'autre coté de Windsor, où elle découvre un bibliobus. Elle décide tant qu'à faire d'y rentrer et d'emprunter un livre. Car oui, la Reine est pragmatique. Cette Reine (c'est Elizabeth hein mais appelons-la la Reine, elle le mérite) est un vrai personnage de fiction, attachant et tellement... anglais. Chez elle, aucune volonté vaniteuse de faire comme le peuple. Elle est tellement au dessus de tout ça... Non, pas au-dessus. A coté. C'est très différent. Elle demande aussi bien au président de la République française (qui aura bien du mal à répondre) ou à un cuisinier qu'elle nommera bibliothécaire ce qu'il pense de Genet.


Dans sa belle caricature, l'Anglais est excentrique et élégant. C'est Hugh Grant dans Love Actually, un charmeur presque sans faire exprès, semblant s'excuser d'être là mais en même temps connaissant parfaitement sa place dans le monde. Et la Reine en est l'incarnation absolue. Un bon sens à toute épreuve, un pragmatisme et en même temps une curiosité désarmante.


I like big books and I cannot lie


La Reine se met donc à lire. Elle note ses impressions dans des carnets, emporte des cartons de livres en voyage, sort un roman même dans le carrosse qui la balade dans les processions royales. Son entourage se demande ce qu'il se passe et elle-même se rend compte du problème. Comme l'a dit Tryo (ou En Passant Pécho si vous connaissez pas Tryo), plus on en fait, plus on en fait. Plus on lit, plus on lit. C'est aussi simple que ça. La Reine se découvre un problème d'addiction.


Un problème qui peut tous me, te, le, nous, vous, les concerner : l'addiction à la fiction ! Elle ne concerne pas que les livres : les jeux vidéos, les films, tout Senscritique en fait OHMONDIEU. Quand on peut tuer des dragons, assister au sauvetage du monde par des super-héros ou même vibrer sous le poids de l'histoire pendant la campagne de Russie, la réalité devient fade. Proust vient par exemple dans le livre au secours d'un été triste et pluvieux (on est en Angleterre ma fille, fallait s'y attendre) : « *difficile de trouver un plus grand contraste entre l'univers propre à ce livre et le contexte dans lequel [elle] le lisai*[t], captivé[e]* par les souffrances de Swann […] tandis que dans les collines environnantes les chasseurs sonnaient la retraite*. »


Cependant, une reine a des obligations et personne ne peut s'échapper dans les livres éternellement. Les livres (j'insiste sur le terme livre car il faut noter une vraie fétichisation de l'objet livre dans le roman) lui ont apporté un regard neuf. Un regard qui lui a montré la vacuité certaine de l'inauguration de piscines à la chaîne. Elle en vient un peu à regretter d'être entrée dans ce bibliobus. Attention : la Reine n'est pas personne à reculer, elle réfléchit et s'apprête à assumer ses actes, aller au bout de son parcours de lectrice. Elle réunit alors tout ce que le royaume compte de gens importants et leur parle de livres.


Chanter c'est lancer des balles


Avec ce discours final, un morceau de bravoure, la Reine s'échappe de la prison dorée de la fiction. Il suffit de penser. Lire n'est pas une activité solitaire, elle se partage. A travers ce que je suis en train de faire, à travers les discussions enfiévrées autour de tel ou tel auteur... Il faut écrire, peut-être mais il faut surtout parler. Quand on sort du cinéma, on veut partager une bière pour discuter du film. Vient le temps, pas forcément du débat mais au moins du partage. Car ce film nous fait penser à autre chose et de fil en aiguille, notre vision s'agrandit et notre regard s'aiguise... De la même manière, il n'y a pas de plus grand plaisir que de voir un ami aimer une œuvre de fiction qu'on lui a conseillé.


Quand on finit un livre, on doit en parler autour de soi. On peut, on doit rentrer dans un livre, faire corps avec les personnages, aimer avec eux, un peu mourir quand ils partent. Mais une fois le livre refermé sur la dernière page (et pas une fermeture définitive, peut-être le relira-t-on) on retrouve le monde, plus grand qu'avant. Ce regard « agrandi », je veux le partager et surtout qu'on m'offre de nouvelles perspectives. Qu'on me conseille, comme ce cuisinier que la Reine rencontre dans les premières pages et qui lui ouvre les vannes de la littérature, cette cordée qui amènera la Reine vers de nouveaux horizons et surtout vers un nouveau plan de carrière à la fin du roman...


La Reine des Lectrices ne fait qu'une centaine de pages (et encore c'est écrit gros) mais il en contient assez pour parler de fiction et donc de réalité. Et même à me faire dire du bien de l'Angleterre.

Julien_Mazars
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le 19 janv. 2016

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Julien Mazars

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