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Dans une instruction du 17 janvier 2023 à destination des hôpitaux la Direction générale de l’offre de soins (la DGOS), branche du Ministère de la Santé, a demandé à ceux-ci d’organiser d’ici fin 2023 le retrait « de l’ensemble des fresques à caractère pornographique et sexiste » des salles de gardes.


Il s’agit peut-être du dernier clou enfoncé dans le cercueil d’une tradition régulièrement sujette à polémique.


Ces salles de garde sont des salles de repas, de repos mais aussi de vie des internes en médecine, qui ont longtemps été des espaces clos mais exubérants, avec leurs règles et leurs traditions festives. Il y est question de battues (taper le couteau sur la table ou sur son assiette pour célébrer un événement), d’économe (le maître des lieux et des rituels, élu pendant quelques mois seulement) et de tonus (grandes festivités), et autant d’expressions et de manières de vivre qui n’existent qu’au sein des salles de gardes, comparables à celles d’autres corporations.


De petits espaces de vies, pour rapprocher les uns et les autres, en dépit de leurs services ou de leurs affinités personnelles, qui ont permis de créer de la cohésion dans un milieu mortifère ou anxiogène. Le travail hospitalier n’est évidemment en rien facile, et ces salles de garde ont pu se créer au début du XIXe siècle quand la médecine se professionnalisait mais que la mort fauchait encore à tout vent, tandis que les corps étaient marqués par des maladies qui laissaient de nombreuses traces sur ceux qui y survivaient. Des lieux de vie, mais aussi d’humour, pour faire fuir les pensées sombres, à l’image de traditions amusantes ou de plaisanteries réalisées notamment entre salles de gardes, dans une piquante compétition.


Un humour « carabin », synonyme d’un humour qui ne fait pas dans la finesse, dans la provocation et l’outrance, baigné dans une certaine sexualité paillarde. Un éclat de vie dans un milieu inquiétant, auxquels le rire et le sexe servent d’exutoire.


Et c’est bien ce qui pose problème, car au-delà de la suspicion face à ces internes livrés à eux-mêmes, dans un milieu hospitalier de plus en plus géré par des administratifs en cols blancs, ces salles de gardes sont décorées avec un bon goût tout paillard, représentant le plus souvent figures anonymes ou internes et « fossiles » (anciens internes) en positions sexuelles exagérées.
Pour les cas les plus problématiques, voici donc de vrais décors de lupanars à l’outrance caricaturale , au kitsch paillard le plus assumé, mais qui passent de plus en plus mal dans une société de plus en plus aseptisée. Des témoignages d’une autre époque, à recouvrir ou pour certains conserver, mais à l’abri des regards offensés.


Quelques ouvrages ont tout de même tenu à préserver ces traditions, notamment picturales, comme L’image obscène de Gilles Tondini en 2010 ou plus ancien, La Salle de garde ou le plaisir des dieux (le sous-titre est d’ailleurs le nom du site officiel de l’Association des salles de gardes des hôpitaux de Paris, où vous trouverez quelques illustrations). Celui-ci est paru en deux tomes, en 1993 et 1994, et attestait déjà de la disparition de ces traditions, de la fin d’une ère. Faute d’avoir pu mettre les mains sur le deuxième tome, c’est le premier qui sert de base à cette critique, le suivant ne devant toutefois pas être bien différent.


Véritable livre-hommage, le recueil regroupe plusieurs pièces au dossier, avec des petits rappels historiques, des mentions de ces lieux dans la littérature, des témoignages assez amusants d’anciens internes (riches en anecdotes et en bêtises passées), des petits poèmes ou chansons paillardes, des photographies de fêtes et de bals costumés et bien sûr des représentations de ces fresques polémiques, dont certaines sont peut-être depuis longtemps effacées.


Dans un format à l’horizontale qui permet de les mettre en valeur, leur succession permet de découvrir les différents styles employés, tributaires des talents des internes en place qui ont pu habiller ces murs (et parfois les plafonds). Il y a une très grande variété, qui parodient ou s’inspirent aussi bien du peintre Chirico (à Argentueil), parodient Picasso avec « Le Bordel d’Avignon » (à Rotschild), reprennent les dessins cochons de Reiser (à Necker adultes) ou le style des caricatures de Morchoisnes (à Saint-Antoine). Le médical se glisse même de manière surprenante dans ces créations, à l’image des coupes anatomiques de Versailles, qui miment ces représentations habituellement sérieuses des manuels de cours, mais ici repris avec des actes sexuels avec les organes concernés...


Ces fresques sont parfois plus oniriques, parfois complètement grivoises, assumant leur paillardise jusqu’au bout, dans des élans parfois complètement fous, où les glands brillent, les sexes masculins font plusieurs mètres et les orifices accueillent bien des calibres et autres objets. Une pornographique excessive dans l’outrance, dont les internes sont parfois les stars, ouvertement caricaturés.


La salle de garde ou le plaisir des dieux est donc un précieux témoignage de cet esprit, qui ne se limitait pas qu’à ces fresques qui ont tant fait parler ces dernières années mais fait partie d’un ensemble qui soudait les internes et leur offrait leur espace de liberté et un cadre de cohésion. Un ensemble stable, car un petit monde vivant pour lui et avec ses règles, appuyé par plusieurs témoignages. N’oublions tout de même pas qu’il s’agit d’un livre des défenseurs de ces salles de garde, et que ceux qui les désapprouvent n’en font pas partie, nous n’avons pas d’autres éclairages. Sur quelques photographies on peut observer des noms raturés sur quelques propos salaces, probablement de personnes qui ne voulaient pas être livrées aux obsessions de certains.

SimplySmackkk
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le 19 févr. 2023

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