La Vie en fuite
6.9
La Vie en fuite

livre de John Boyne (2022)

Pourquoi les juifs sont-ils persécutés depuis des millénaires ?
Une question que je me pose depuis que je suis en âge de me poser des questions !
Parce qu’ils seraient responsables de la mort du Christ ? Des déicides ? Non, ça ne marche pas !
Ça aurait commencé avec Nabuchodonosor II qui attaque le Royaume de Juda peuplé par des juifs, et prend Jérusalem en 597 avant J-C. 10 000 juifs sont déportés à Babylone.
Au IVe siècle av. J-C, c’est Alexandre le Grand qui s’y met : les juifs se répandent en Égypte, en Asie mineure et dans les îles grecques. Puis on les retrouve en Libye et en Afrique du Nord.
Sous l’Empire romain ils sont nombreux à Rome, Damas ou Antioche et un million en Égypte. Mais la domination romaine provoque des révoltes ce qui entraine des déportations des mises en esclavage et des expulsions.
Au deuxième siècle, la diaspora juive représente les quatre cinquièmes des juifs, elle se détériore fortement lorsque le christianisme devient religion d’État avec l'Édit de Thessalonique de 380.
Par mesure de ségrégation, le concile du Latran, en 1215, les contraint à porter un signe distinctif (la Rouelle, ancêtre de l’étoile jaune). De nombreux métiers sont interdits aux juifs : la fonction publique, le travail de la terre, l'artisanat, etc. Par contre, leur religion permet l'usure, qui est interdite aux chrétiens (car le temps n'appartient qu'à Dieu). Ainsi les métiers d’argent sont laissés entre les mains de juifs assurant les offices de banquiers et d’usuriers, prêtant ainsi de fortes sommes aux puissants de ce mondes, qui deviennent leurs débiteurs provoquant de ce fait plus de haine que de reconnaissance. Mais également toute personne vivant dans la misère ou la précarité pourra, sa vie durant, associer le juif à son malheur, et y voir la cause de sa ruine en même temps que l'incarnation du péché. Ainsi en 1321, les juifs, comme les lépreux, sont accusés d’empoisonner les puits ; lors de la grande peste (1347-1352) on pense qu’ils ont volontairement propagé l’épidémie…


Pourquoi ai-je voulu lire ce livre ?
Dans la lignée de la question précédente, il y a plus de soixante ans j’ai lu « La mort est mon métier » de Robert Merle, une biographie romancée de Rudolf Höss, commandant du camp d'extermination d'Auschwitz qui m’a laissé une marque indélébile,
https://www.senscritique.com/livre/la_mort_est_mon_metier/418705
et, plus récemment, « La carte postale » d’Anne Berest et « Enfants de survivants » de Nathalie Zajde, deux ouvrages qui traitent du traumatisme des rescapés de la Shoah et de leurs descendants,
https://www.senscritique.com/livre/la_carte_postale/45388158
https://www.senscritique.com/livre/enfants_de_survivants/77834
il paraissait donc intéressant de prendre le contre-pied en abordant le point de vue des descendants des acteurs des persécutions nazies.


Pourquoi John Boyne a voulu écrire ce livre ?
Il l’explique lui-même en fin d’ouvrage : « L’idée de La Vie en fuite m’est venue en 2004, peu de temps après que j’avais terminé la dernière mouture du Garçon en pyjama rayé*. »
https://www.senscritique.com/livre/le_garcon_en_pyjama_raye/178912
Ce roman pour adolescents, Le Garçon en pyjama rayé (2006), traduit en 40 langues, s’est vendu à plus de 6 millions d'exemplaires dans le monde, avant d'être adapté au cinéma en 2008. Il retrace l’histoire bouleversante des camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale par le point de vue innocent d’un enfant de 9 ans, Bruno, frère cadet de Gretel, qui sera le personnage principal de La Vie en fuite : « … c’était fascinant pour moi de revenir à Gretel presque vingt ans après et de découvrir, à travers l’écriture, ce qu’elle était devenue. »


John Boyne est né à Dublin, (Irlande), en 1971, il étudie la littérature anglaise au Trinity College de Dublin, en 2015 il reçoit un doctorat honorifique en Lettres de l'université d'East Anglia.
Il est l’auteur d’une vingtaine de romans et romans pour la jeunesse ainsi que plusieurs nouvelles.


Voilà le décor planté, un décor trop ambitieux, sans doute, pour la suite…
Si on n’a pas lu Le garçon en pyjama rayé (comme moi), on fait la connaissance de la sœur de Bruno, Gretel, en 1946, alors qu’avec sa mère elles arrivent à Paris, sous un faux nom, fuyant les procès contre l’humanité après les massacres commis dans les camps d’extermination.
Gretel est une belle jeune fille de quinze ans rongée par la culpabilité d’avoir connu le rôle de son père et de n’avoir rien dit ni rien fait. Quant à sa mère, entre deux verres d’alcool elle pense surtout à sauver sa peau.


Gretel donc, on sent bien qu’elle est obsédée par une autre culpabilité encore plus dévastatrice que les milliers de morts sur la conscience de son père, la pauvre…
Eh bien non. De chapitres en chapitres, on fait des grands écarts entre 1946 et 2022, entre Paris et Londres, entre Gretel adolescente et Gretel âgée de 92 ans, puis entre Sydney en 1952 et Londres en 2022 et Londres, à nouveau, en 1953 et 2022.
Personnellement, j’ai ressenti le personnage de Gretel comme immatériel, surajouté, artificiel, une pure fiction improbable tout droit sortie de l’imaginaire de l’auteur, mais je n’ai pas adhéré. Gretel est froide et calculatrice et n’attire aucune empathie ou un semblant d’intérêt. Même en découvrant petit à petit ce qui motive ses actions. Même lorsqu’elle tente d’effacer son remords par un acte répréhensible – et peu crédible – qui n’enlèvera jamais le sien.
Je n’ai pas lu Le Garçon en pyjama rayé, un ouvrage certainement d’une grande qualité, recommandé par l’éducation nationale française pour les collégiens. Mais si le thème de La Vie en fuite est prometteur il gagnerait certainement à être une (auto)biographie. En faire une œuvre d’imagination est, à mon sens, une gageure vouée à l’échec.


===========================================================


(*) Le garçon au pyjama rayé :
« 1943 : en rentrant un jour de l'école, Bruno apprend que lui et sa famille doivent quitter Berlin et déménager, car son père a reçu une promotion dans son travail. Celui-ci, un brillant officier SS, a en effet été remarqué par Adolf Hitler et a été envoyé en mission spéciale en Pologne occupée, pour diriger ce qui semble être un camp d'internement. Bruno est très triste, car il doit quitter ses amis, sa maison qu'il aime tant, ainsi que Berlin.
Arrivé dans sa nouvelle maison, Bruno n'a qu'une envie : rentrer, car la nouvelle maison est particulièrement lugubre et il s'y ennuie. Jusqu'au jour où il va apercevoir quelque chose d'étrange, derrière l'épaisse forêt qui borde la maison. Il voit des baraquements, un sol poussiéreux, des soldats, mais encore plus bizarre : des gens qui sont tous habillés de la même façon, d'un pyjama rayé.
Peu de temps après, poussé par sa curiosité et son envie ardente d'exploration, et malgré l'interdiction formelle de ses parents de quitter la propriété, Bruno va échapper à la surveillance de ses parents, traverser la grande forêt et se rendre devant le camp. En s'approchant de la clôture de barbelés, il rencontre un enfant juif de huit ans, comme lui, qui s'appelle Shmuel, et, malgré la clôture qui les sépare, un dialogue va naître, avant de laisser place à une inébranlable amitié.
L’innocence des deux enfants face à la dure réalité de la Shoah prend alors une tournure imprévisible, et se termine pour eux de façon tragique.
»

Philou33
4
Écrit par

Créée

le 29 sept. 2023

Critique lue 69 fois

2 j'aime

6 commentaires

Philou33

Écrit par

Critique lue 69 fois

2
6

D'autres avis sur La Vie en fuite

La Vie en fuite
Christlbouquine
10

Critique de La Vie en fuite par Christlbouquine

1946. Gretel et sa mère, allemandes, trouvent refuge en France, à Paris. 2022. Gretel, à présent nonagénaire, vit à Londres. Veuve, elle a un grand fils sur le point de se marier pour la quatrième...

le 25 mai 2023

1 j'aime

1

La Vie en fuite
MrsFreaZ
7

J'ai adoré

J'ai bien aimé les retours en arrière pour découvrir l'avant, comprendre le présent et les réactions/actions des protagonistes.Il me faut cependant un peu plus de temps parfois pour capter où on est...

le 31 déc. 2023

La Vie en fuite
Cinephile-doux
6

Avec peur et reproches

Comme pour Le garçon en pyjama rayé, dont La vie en fuite constitue une suite, le dernier roman de John Boyne pose la délicate question de la fabrication d'une fiction dont des éléments majeurs ont à...

le 23 avr. 2023

Du même critique

L'Anomalie
Philou33
7

À lire sans tarder… et pour cause !

… Car je ne pense pas trahir un quelconque suspense en soulignant que l’action de "L’Anomalie" se déroule en juin 2021 (Cf. quatrième de couverture) et donc tout ce qui n’est pas advenu peut encore...

le 13 déc. 2020

17 j'aime

5

Les Choses humaines
Philou33
4

OUI pour le fond ! NON pour la forme !

C’est générationnel (Je suis un VIEUX C…). Je n’aime pas les histoires de cul ! Je n’aime pas les histoires où on « fait l’amour » comme d’autres font des cauchemars. Mais, à en croire l’auteure,...

le 13 nov. 2019

14 j'aime

11

La Vie devant soi
Philou33
4

UNE SI LONGUE AGONIE…

Me voilà encore dans l’opposition ! OK, je suis le prototype de l’ignare. J’avais envie de lire ce livre, non pas pour son Goncourt (je suis méfiant vis-à-vis de cette distinction), mais parce j’ai...

le 23 mai 2020

11 j'aime

2