La Voix
7.3
La Voix

livre de Arnaldur Indridason (2002)

Je pense qu'il y a deux types d'auteurs de romans policiers.
Il y a ceux qui n'ont aucun talent et qui pensent qu'il suffit de raconter une histoire avec un crime et un assassin découvert à la fin pour satisfaire un public peu exigent.
Et puis, il y a ceux qui ont compris que les histoires criminelles permettent de plonger dans l'âme humaine et dans les profondeurs inavouables d'une société.
D'un côté, Millenium.
De l'autre côté, Simenon.
Indridason se situe incontestablement dans ce second aspect, et c'est ce qui en fait un de mes auteurs contemporains préférés. la Voix est le quatrième roman que je lis de lui (car je ne le lis pas dans l'ordre) et, à chaque fois, le bonhomme me fascine.

Le roman se déroule exclusivement dans un grand hôtel international à Reykjavik, la capitale islandaise. Mais loin des splendeurs mensongères pour touristes, l'enquête va plonger vers le bas, à commencer par un minuscule cagibi insalubre où on va retrouver le portier de l'hôtel, logé de façon indécente ici depuis une bonne vingtaine d'années maintenant, et qui est mort comme il a vécu : de façon anonyme et inaperçue, seul dans son coin. Déguisé en Père Noël, le pantalon sur les chevilles et une capote placée à l'endroit idoine.
Ce mouvement qui obligera le commissaire Erlendur à abandonner les apparences mensongères pour aller vers ce que tout le monde veut cacher, vers le sombre et le glauque, sera le mouvement dominant du roman. En apparence, tout sera bon et bien, et tout va se révéler pourri, consumé de l'intérieur.
Tout, sauf la victime, qui suivra un chemin inverse : lui qui paraît au début comme un rebut de l'humanité dont personne ne veut, va se révéler être une personne formidable.
Le métier d'Erlendur consiste donc à aller fouiller au-delà des apparences, à chercher la vérité à travers les mensonges. Il est un révélateur.
Le problème, c'est que ce cheminement s'applique à lui également, à son traumatisme secret.

Et c'est là qu'apparaît le réseau thématique qui soude les romans d'Indridason. Le rapport au passé, et le rapport parents-enfants.
Le rapport au passé, d'abord. Puisqu'il s'agit de dévoiler la vérité des rapports humains dans toute leur complexité, il faut souvent, pour les enquêteurs, fouiller dans le passé, mettre à jour les origines. Erlendur est assez fasciné par la question : comment en est-on arrivé là ? Question qui n'a, parfois, absolument aucune réponse.
En tout cas, la situation présente est souvent la résultante de chocs passés qui ont laissé leurs traces. Des chocs qui permettent de mieux comprendre les choix de vie des personnages.
Il faut dire que les personnages d'Indridason sont particulièrement fouillés. Nous avons ici de véritables caractères, avec leurs contradictions, leurs illusions, et cette incompréhension mutuelle qui est le dissolvant de toute relation humaine. Personne n'arrive à comprendre l'autre, et personne ne cherche à se dévoiler aux autres. Encore moins à des policiers enquêtant sur un crime.
A cette vision très désabusée s'en greffe une autre, celle d'une société où, finalement, les relations humaines sont entièrement dominées par l'argent et les intérêts financiers.

L'autre thème qui apparaît dans plusieurs romans de l'auteur, c'est le rapport parents-enfants. Rapport que l'on retrouve dans plusieurs situations : le père qui rejette son fils, celui qui est soupçonné de le battre, etc. Et au milieu de tout cela, Erlendur, encore lui, qui essaie de faire ce qu'il peut avec sa fille Eva Lind et qui comprend qu'il ne peut quasiment rien, sinon la regarder s'enfoncer à nouveau dans la drogue.
Il faut dire qu'Erlendur n'est pas très fort sur les relations sociales (ce qui permet à Indridason d'analyser l'échec des relations humaines, et donc de toute société).
Au-delà, l'auteur se demande s'il est possible de connaître la vérité. Et alors, c'est toute la notion qui justice qui perd son sens. Il pointe l'extrême fragilité de tout ce qui concerne la justice, qui tient à de la psychologie (qui est loin d'être une science exacte) et à l'interprétation de faits, de mots et de gestes forcément ambigus et polysémiques.
Le tout est condensé en 400 pages lentes mais passionnantes. L'enquête avance de façon régulière, les pistes à suivre permettent de bien développer les thèmes de prédilection de l'écrivain. Non seulement il n'y a aucun ennui, mais en plus l'auteur se permet de faire un peu d'humour à travers les paroles parfois complètement décalées de son personnage principal. Une fois de plus, Indridason nous livre un grand roman, fin et intelligent.

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le 28 août 2014

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SanFelice

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