On imagine mal un roman plus ambitieux que Le bruit et la fureur. Le lecture en est difficile, le récit ne prime pas, en tout cas pas dans une forme classique et linéaire, puisqu'il est construit par l'accumulation de points de vue, de subjectivités qui se confrontent, se croisent et se répondent. C'est une fresque, mais une fresque à l'architecture moderne, ravissant au romanesque son point de vue unique, ouvrant une perspective nouvelle dans le jaillissement de l'histoire par l'effervescence du langage et de la conscience. L'histoire qui se révèle peu à peu, c'est le monde déployé dans un processus de mise en forme phénoménologique. La préface du traducteur, Maurice-Edgar Coindreau, aide à saisir ce qui se joue dans chacune des parties du livre, qu'il associe à des mouvements symphoniques. L'analogie n'est pas vaine car c'est une musique du monde et des sens par lesquels il apparaît que met en scène ce roman magistral.

En achevant Le bruit et la fureur, on a le sentiment d'avoir assisté, depuis une intimité mémorielle, à la mémoire d'une vie, de plusieurs vies en fait, par un geste de remembrement qui assemble, sous la forme romanesque, des moments perçus comme des réminiscences, depuis une enfance profonde et insaisissable jusqu'au présent ruiné de la famille Compson-Bascomb, qui porte les stigmates et les signes de cette enfance où se nouaient déjà les forces de la passion et de la mort. Le Sud, Mississippi malsain et prodigieusement clair, environne le drame familiale du secret et des passions tristes.

La conscience de Benjamin, l'idiot, fait le pont entre les différentes histoires et dévoile, dans un tumulte de souvenirs, de voix, de sensations mélangées, issues de diverses époques la grande puissance de la prose de William Faulkner qui est de raconter un être-au-monde, dans sa confusion, dans sa fureur, dans le tourment des images et des souvenirs qui oublient, en arrière-plan, le tissu narratif d'une famille américaine du Sud, territoire maudit de vaincus effondrés dans leur ultime posture de statue, froides incarnations d'une gloire marquée par le sceau du Mal. Car la malédiction existe, cependant que le miracle ne survient jamais dans les pages du livre. L'image de la famille au complet, enfants, parents, domestiques, grands-parents tous rassemblés dans le domaine familial, ne pouvait dès lors s'accommoder de la fluidité et de l'autorité d'un récit classique. C'est pourquoi elle déborde d'un flot surpuissant de mots et d'impressions, dans un projet qui n'est pas sans rappeler, par sa dimension et son lyrisme, le Tree of life de Terrence Malick.

Mythopoeia
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le 29 nov. 2023

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