Milieu des années 80, New York, dans un appartement de très haut standing sur Park Avenue. Sherman McCoy, jeune trader prometteur de Wall Street, marié et père d’une petite fille, saute dans sa grosse cylindrée de sport et court récupérer en catimini sa maîtresse hyper sexy et « bandante » à l’aéroport. Jour de semaine, en soirée, autant dire que c’est l’enfer pour retourner sur Manhattan! L’autoroute est bondée et la grosse fortune de nos deux amants ne permet pas dans cette situation de passer pour la porte VIP…Bienvenue dans le quotidien des personnes lambda…Envoûté par l’accent et la beauté de Maria, sa maîtresse, Sherman rate sa sortie. Quelques fichues secondes d’inattention! qui scelleront son destin. Bien malgré eux, c’est le cœur du Bronx qui accueillent ces égarés. Alors là , imaginez la scène tout de même: un couple de blancs qui pue l’argent à plein nez, au volant d’une grosse voiture de sport, le soir, dans les rues sombres et malfamées du Bronx, où la population est majoritairement noire et portoricaine…admettez que ça fait un peu tache; les paris sont pris, combien de temps vont-ils survivre? Ça me fait penser à une scène de Banzai, quand Coluche se retrouve égaré dans Harlem (ici), certes comique mais imaginez si ça vous arrive réellement. Ou encore cette scène dans Une journée en enfer où Bruce Willis est contraint d’aller à Harlem avec une grosse pancarte « je hais les nègres » (ici). Bon vous voyez le topo, l’angoisse monte, notre couple s’égare encore plus et là, miracle! Un panneau semble indiqué la direction de Manhattan. Ils se lancent sur la rampe d’accès à l’autoroute et paf!! un pneu au milieu de la route. Sherman sort pour dégager le passage et à ce moment deux jeunes noirs arrivent vers lui et lui demandent s’il a besoin d’aide. Est un guet-apens ou pas? A ce stade de l’histoire, on ne sait pas encore si ça en est un, en tout cas ces deux jeunes noirs sont présents, une rixe entre Sherman et les deux types, dans la confusion Maria reprend le volant et percute en voulant s’enfuir un des jeunes. Ça aurait pu être un fait divers tragique comme tant d’autres vous me direz, mais pas cette fois-ci…


Le bûcher des vanités est un grand roman sur la ville de New York. On pourrait même dire que New York est un personnage à part entière. C’est une ville qui fait rêver, qui promet richesse et pouvoir à ceux qui veulent l’entendre, mais aussi une ville qui écrase et emprisonne ses habitants. Ville tentaculaire où chaque quartier appartient à un groupe socio-ethnique différent. On a le Manhattan de riches et des très riches, celui des classes moyennes. Le Harlem et le Bronx des populations noires, portoricaines, asiatiques pauvres. Bref il y a une réelle frontière entre riches d’en bas (Manhattan) et pauvres d’en haut (le Bronx). Tom Wolfe parle de « Tiers Monde » et c’est tellement ça, la différence des quartiers est tellement saisissante! Imaginez un mur entre les deux, les populations ne se mélangent pas, on s’ignore les uns les autres. Une autre comparaison qui me sautent au yeux: pour ceux qui habitent Paris, c’est le quartier des Champs-Élysées face à la porte de la chapelle…je ne vais pas m’étendre sur le sujet mais la rupture est flagrante, c’est le Tiers-Monde… Avec Le bûcher des vanités, le lecteur est plongé dans un décor de film où chaque détail restitue à la perfection l’ambiance particulièrement de la ville. On est à la jonction de Pulp Fiction (oui, je sais, ça ne se passe pas à New York mais la mise en scène m’y fait penser), d’American Psycho, de Taxi Driver ou encore de Il était une fois le Bronx. Pas étonnant que le roman ait été adapté au cinéma par Brian de Palma.


Le bûcher des vanités…un roman n’a jamais aussi bien porté son titre. Avant d’aller plus avant, une brève définition de la vanité: « La vanité est définie comme l’orgueil et la valorisation excessive de ses propres mérites et capacités. » Le terme « bûcher » rend bien compte de la destruction des personnages du roman qui sont prêts à perdre leurs âmes pour atteindre les sommets. Tous les personnages inventés par Tom Wolfe sont vaniteux. Faire une description de chacun d’eux serait trop long pour ce modeste article, je m’attarderai donc sur les plus emblématiques.


Sherman McCoy: Personnage principal du roman, trader de Wall Street de 38 ans, ses collègues et supérieurs le porte en haute estime. Extrêmement prometteur dans la profession, il est capable de vendre des obligations à la pelle et de dégager des sommes astronomiques de ses ventes. Il se décrit comme « Maître de l’univers ». Très imbu de sa personne, très orgueilleux, seuls sa petite personne et sa carrière compte. Accumulé le maximum d’argent, montrer qu’il est fortuné et en profiter est sa priorité. Sa femme « vieillissante » ne s’accorde plus avec l’image qu’il se fait de lui même, c’est pourquoi il recherche la compagnie d’une jeune femme fraîche et sexy en la personne de Maria Ruskin. Comme vous l’aurez compris, son aventure dans le Bronx mais aussi sa liaison avec Maria va précipiter sa chute.


Laurence Kramer: substitut du procureur général, 32 ans, marié et père d’un enfant de quelques mois. Il habite aussi Manhattan mais dans un petit appartement. Il fait partie de ce que j’appelle la « classe moyenne basse », ce qu’il gagne lui permet de vivre mais pas d’en profiter. C’est un personnage qui semble plutôt sympathique au début du roman mais dès qu’il est saisi de « l’affaire McCoy », il semble changer de visage. Pas vraiment reconnu par ses pairs, voire même moqué parfois, il voit dans cette affaire un moyen pour s’élever, une manière de montrer qu’il est très compétent. Bref il tente de se faire mousser et de forcer l’admiration notamment d’une belle jurée.


Peter Fallow: Journaliste, alcoolique et fêtard, sans le sou, sur le déclin au début du roman. Cela fait un bail qu’il n’a pas pondu un bon article dans le City Light, journal pour lequel il travaille. C’est lui qui dévoile dans la presse ce fait divers que Sherman McCoy aurait bien voulu enterrer. « L’affaire McCoy » lui permettra de redorer son blason. C’est la plus grande ascension sociale du roman et au final le vrai gagnant de cette histoire. Il rebâti sa carrière sur le malheur d’un homme…Les rôles s’inversent: Peter Fallow devient le « Maître de l’univers » et Sherman McCoy le mec déchu.


Je pourrais parler d’autres personnages comme le Révérend Bacon, Maria Ruskin, le procureur Weiss…mais comme je le disais plus haut, c’est serait trop long. Une chose est sûre, le roman foisonne de personnages aussi différents les uns que les autres. J’ai adoré tous ces portraits d’hommes et de femmes. Tom Wolfe dissèque leurs caractères et leurs personnalités, chaque personnage est unique et le lecteur ne pas pas faire d’amalgame. Un exemple: Quand on est avec Peter Fallow, on sait qu’on est avec lui grâce à sa façon de parler, son comportement et on peut décliner ça pour tous les autres personnages.


Le bûcher des vanités dénonce le clivage de la société américaine et new-yorkaise qui sépare les blancs, les noirs et citoyens de l’émigration récente (portoricains, asiatiques) mais aussi les riches et les pauvres. Comme je l’ai dit au début de cet article, cette frontière est représentée pour les différents quartiers new-yorkais: laissons les riches dans leurs tours dorés et les pauvres dans leurs cités crasseuses… Ce roman montre aussi la discrimination envers la population noire mais aussi envers la population blanche. J’aurais aimé que cette question soit plus approfondie par ailleurs…


Le système judiciaire est également dans la ligne de mire de Tom Wolfe: C’est une justice corrompue, souvent expéditive et qui n’est pas impartiale. L’auteur dénonce le manque de moyen dont dispose la justice pour traiter efficacement toutes les affaires. A travers le personnage du procureur Weiss et du révérend Bacon, c’est les travers de la politique que dénonce aussi l’auteur: tous deux, chacun à sa manière, utilisent les protagonistes de « l’affaire McCoy » pour accéder au pouvoir. C’est avant tout la corruption qui règne, on « achète » la presse, les médias, les témoins etc…


Le bûcher des vanités est un très grand roman américain qui dépeint brillamment les travers de la société New-yorkaise des années 80. De grands personnages haut en couleur que l’on a du mal à oublier, pourtant ils sont loin d’être sympathiques! L’arrogance, l’orgueil, le narcissique et la mégalomanie sont des attributs qui leur collent parfaitement à la peau et qu’est ce que j’ai aimé! J’ai aimé déambuler avec eux dans New-York, sentir le pouls de cette ville au travers de ses côtés reluisants mais aussi sombres. Le bûcher des vanités dénonce beaucoup de travers de la société américaine notamment le système judiciaire, la corruption, la discrimination socio-ethnique. Le roman interroge sur la lutte de pouvoir et d’influence pour atteindre les hautes sphères de la société mais aussi sur l’hypocrisie et le paraître dans la société. Au final, Le bûcher des vanités est certainement l’un des meilleurs romans sur la déchéance humaine et sur les affres de la réussite que j’ai pu lire. Une lente descente aux enfers…Faut-il vendre son âme au diable pour réussir?

JessicaDubreucq
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le 28 avr. 2019

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