On dit de lui qu’il est pornographique. On dit de lui qu’il a souillé le verbe par ses allégories coïtales, qu’il a couvert de foutre toute une idée du roman de genre, plus salace que littéraire. On le dit sadique et bas du front. On a dit tant de choses.


On a fait un procès.


On l’a dit insultant, planté là, brandissant sa pine gonflée comme un appel au secours, sa quête vicelarde du plaisir comme un graal éjaculateur, fourrant sa turgescence partout, des cons, des chiens, un singe, de rituels en rituels, sexe toujours plus savant, plus abstrait, plus maniaque, le fantasme rêvé, le vrai. On a dit :



outrage



Il y avait pourtant un cœur planqué derrière cette queue, qui battait même très fort de la volonté d’être. Etre entendu, être irresponsable pour être vu. Etre compris, pas nécessairement, une considération bien secondaire quand on veut remuer les esprits et crisper les consciences.
On n’a pas vu ce cœur, les yeux rivés qu’on avait sur l’énorme partouze métaphorique en présence, bousculés/fascinés par l’acharnement irréel de l’homme à son œuvre. On ne l’a pas vu jubiler, un pas en arrière, matant d’un même regard sa progéniture et son public.
On a totalement occulté la dimension politique de ses mots.
On a voulu le cadrer, classer sa rage sur une étagère. On a manqué par là même la bascule surréaliste, idéalement centrée, amenée avec l’art subtil du doute, faisant du roman une maquette d’équilibre parfait, pyramidale ou conique, suggestion évidente, intelligence maligne. On n’a surtout pas vu, et ce fut l’apogée, la pudeur maladive d’un écrivain timide, ensevelissant l’émoi de ses premiers mots sous une montagne de sperme, bave et cyprine mêlés.


On l’a traîné devant le juge. On a chargé le dossier.
On a encore dit un tas de choses, mesquines ou bien outrées, fondées ou fantasmées.


A la fin on a dit :



C’est un bon écrivain. Il est inoffensif.



Comme une causalité.
Et c’est là tout le drame du Château de Cène, dépouillé de son sens par un monde toujours plus cru, par la banalisation de sa révolte, la normalisation de sa colère anarchique.
Il n’est plus rien aujourd’hui qu’une belle première fois, un peu dévergondée. Il n’a pas le réalisme aussi bancal que touchant d’un Women, pas l’érotisme abscons du produit calibré. Il crie dans le vide et dans une autre époque, fort de sa prose ravageuse et de son urgence fatale, d’un humour minimaliste mais irrésistible à ses rares fulgurances.
Il continuera d’être l’entrée fracassante de Bernard Noël dans le monde littéraire, un poing levé bien haut, une révolte solitaire à ne pas oublier.

-IgoR-
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 6 mars 2016

Critique lue 1.4K fois

30 j'aime

4 commentaires

-IgoR-

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

30
4

Du même critique

Les Lumières de la ville
-IgoR-
10

Big City Lights

Il est facile de réduire ce City Lights à sa bouleversante scène finale. Elle le vaut bien cependant tant elle se fait la synthèse de ce que le cinéma muet a de meilleur. L’absence de parole est...

le 3 avr. 2014

68 j'aime

13

The Big Lebowski
-IgoR-
9

De temps en temps y a un homme...

Avec ce film, j'ai découvert l’œuvre des frères Coen. Il reste à ce jour l'un de mes favoris. Jeffrey Lebowski (Jeff Bridges), qui se fait humblement appeler "Le Duc", est un fainéant de première...

le 24 nov. 2013

57 j'aime

13

Les Premiers, les Derniers
-IgoR-
8

Feu ! Chatterton

Un ciel sombre, chargé. Au travers filtre un mince rayon de soleil. Bouli Lanners pose l’esthétique qui habillera son film d’un bout à l’autre. Un poing sur la table. Puis il pose ses personnages. Un...

le 30 janv. 2016

56 j'aime

26