Une femme nommée Camille prend la plume, à Paris en 1975. Elle vient de perdre sa mère et parcourt les lettres de condoléances reçues après l’enterrement. Surprise, elle y trouve une lettre classique. Pour une fois qu’elle reçoit du vrai courrier, elle n’y comprend pas grand-chose. Cette lettre constitue le deuxième chapitre du roman. Quelques pages où il est question de personnes que Camille ne connait pas et de faits sans lien avec le chapitre d’introduction. De plus, la lettre est anonyme.


Après un court chapitre où Camille reprend la plume, une nouvelle lettre arrive (de la même main que la précédente). Un certain nombre de lettres reçues par la narratrice vont apporter des éléments donnant à réfléchir. Pourquoi Camille reçoit-elle ces lettres ? Qui sont les personnages qui y sont évoqués ? Parmi les prénoms cités, ceux de Louis et Annie restent bien mystérieux. On a l’impression que la personne qui raconte se préoccupe peu de ce que comprendra la destinataire, comme si les lettres lui étaient adressées par erreur. On se demande si la personne qui s’exprime est toujours la même. Le seul indice relevé par Camille concerne une église typique située dans un village désigné par la lettre N.


Camille acquiert finalement la conviction que ces lettres lui sont bel et bien destinées. Pour elle comme pour le lecteur, la compréhension arrivera dans une deuxième partie étonnante, car aux lettres ponctuelles va succéder une confession de 130 pages (dans l’édition Folio) qui bouleverse la vision des choses qu’on avait depuis le début. Cette fois-ci, les événements sont racontés selon le point de vue d’Annie. L’expéditeur des lettres est son confident. On réalise qu’il était partie prenante dans l’histoire de celle-ci. Il a donc d’abord présenté les événements comme il les avait vécus. Mais ce qu’il en a appris de la bouche d’Annie apporte des variations notables. Certaines informations enregistrées dans la première partie deviennent sujettes à caution. Un drame s’est joué entre un homme et deux femmes. Un autre homme a alors vu sa vie bouleversée. A l’évidence, il a reçu des confidences de l’une de ces femmes. Dans quelles circonstances ? Et pourquoi présente-t-il tout ceci à Camille de cette façon ? Que croire, qui croire ?


Hélène Grémillon raconte une histoire d’amour, de maternité, de jalousie, de vengeance et de quête des origines en montrant qu’on n’échappe pas au poids du passé et en laissant un doute subtil à la fin en répétant


« Les rumeurs de village sont impénétrables
On ne sait jamais à partir de qui la vérité
Se déforme
Elisabeth aurait dû le deviner. »


Avec l’épilogue sous forme poétique, on n’est pas loin de la folie. Et franchement, en se remémorant les faits consignés dans les deux versions de l’histoire, il y a de quoi.


L’histoire en elle-même est machiavélique, comme les femmes les plus inoffensives (en apparence) sont capables d’en inventer. Hélène Grémillon joue avec maestria la carte du suspense et du mystère. Le roman commencé, il est difficile de le lâcher. Tout intrigue et Hélène Grémillon utilise deux polices de caractères différentes, l’une pour Camille sa narratrice et l’autre pour l’écriture de son correspondant. Procédé simple et efficace. Si le début place le lecteur en situation de recherche d’informations pour se faire son idée, peu à peu le puzzle se reconstitue, malgré une part d’incertitude.


Soyons clair, les détracteurs de la littérature française actuelle y verront tous ses défauts : thème très introspectif, un style plutôt neutre qui se fait oublier à coup de phrases souvent très courtes qui mettent avant tout en valeur mystère et suspense, enfin des thèmes essentiellement féminins qui tournent autour de la maternité, de l’amour vu comme un sentiment de possession physique.


Par contre, l’exploration du thème du destin avec l’impossibilité d’échapper à son passé et ses origines est traité de façon marquante. Et surtout, malgré une trame pour laquelle tous les points essentiels peuvent être sujets à caution puisque l’histoire est présentée selon deux points de vue, tout se tient jusqu’au bout. Le nœud de l’histoire se situe pendant l’Occupation Allemande des années 40. Oui, encore une fois. Mais Hélène Grémillon utilise des détails historiques qui sonnent juste. Cela ne fait pas que crédibiliser son histoire, cela donne du poids à ce qu’elle raconte.


Ce premier roman d’Hélène Grémillon est dédié à Julien. Ceux qui ne le savent pas encore auront peut-être la curiosité de chercher, ce prénom n’est pas celui d’un anonyme !

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le 9 avr. 2014

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