La vie est faite de rencontres fortuites. Certaines d’entre elles ne réussiront pas à dépasser le stade de l’immédiateté et de la fugacité, restant sur ces bancs mémoriels où les souvenirs n’adhèrent pas, où les sentiments et émotions sont à peine esquissés. D’autres, au contraire, deviendront le moteur d’une élévation sensorielle, spirituelle et intellectuelle, laissant dans leur sillage des traînées d’instantanées inoubliables. Parmi les nombreuses strates de la littérature, tout lecteur réceptif sera amené un jour ou l’autre à tomber sur LE LIVRE, LA PERLE qui le bouleversera, celui qui le poussera dans ses retranchements. LA RENCONTRE DÉCISIVE, celle qui vous remet en question, vous entraîne vers le bon questionnement, vous guide dans votre cheminement intérieur et personnel. Au fil du temps, mon panthéon littéraire s’est agrandi bien que les conditions pour y accéder restent exigeantes: 1984 de George Orwell, Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline entre autres, font ainsi partie de ces ouvrages qui continuent, bien après leurs lectures, à me hanter. Très récemment s’y ait ajouté Into the Wild de Jon Krakauer: C’est simple, Chris McCandless c’était moi! Les mêmes réflexions, le même état d’esprit, les mêmes aspirations que ce jeune homme singulier ayant laissé tout derrière lui pour finalement mourir de malnutrition dans les contrées sauvages canadiennes. Grande source d’émotions et de chamboulements intérieurs, Into the Wild continue de trouver un écho dans mes pensées… et je ne pensais pas qu’il se rappellerait à moi aussi rapidement au travers d’un autre ouvrage…


La masse critique Babélio de la rentrée est annoncée. Parmi les livres qui m’intéressent, je suis sélectionnée pour recevoir Le garçon sauvage de Paolo Cognetti. Ce nom me disait vaguement quelque chose. En effet il est l’auteur également de Les huit montagnes, roman de la rentrée littéraire qui a remporté le Prix Strega, l’un des prix littéraires les plus prestigieux en Italie. C’est donc avec un sentiment de confiance que je me lance dans ce court récit annoncé comme autobiographique.


Dès la dédicace, j’étais face à une certitude: Le garçon sauvage prolongerait ma réflexion initiée dans Into the Wild: « Pour Gabriele et Remigio, mes maîtres de montagne. Et à la mémoire de Chris McCandless, mon esprit-guide ». Par le jeu du hasard et des circonstances, l’auteur et moi même, partagions le même esprit-guide! Quelle surprise! Je ne pouvais me plonger dans ces carnets de montagne qu’avec impatience et envie. La lecture de Le garçon sauvage aura été l’occasion de confirmer cette harmonie que j’avais ressenti avec Chris McCandless et de partager une véritable proximité avec Paolo Cognetti: en effet nous avions les mêmes questionnements, la même façon d’appréhender l’existence et le monde, des goûts littéraires similaires. J’avais découvert un autre Chris McCandless.


Rien n’est laissé au hasard dans ce court récit. En effet, il semble que chaque propos de l’auteur a son importance. Ce qui frappe c’est la justesse des descriptions, des développements, des interrogations. Chaque détail compte, tout n’est que précision. Pas de grandes envolées lyriques, de grands épanchements sentimentaux, c’est même parfois très cliniques. Mais qu’est ce que c’est beau et poétique! Chez Paolo Cognetti, c’est l’économie des mots mais qui finit par instaurer une sensation de légèreté et de poésie. L’auteur se donne tout entier, sans concession, il dépose son coeur et son âme sur le papier.


Le garçon sauvage est une très touchante ode à la nature et à la littérature, les deux étant extrêmement liés. En effet, c’est la littérature qui l’aide à comprendre la nature. Fervent admirateur de Mario Rigoni Stern, David Henri Thoreau, Primo Levi , Antonia Pozzi, Jon Krakaeur, tous ces auteurs le guideront dans sa démarche intérieure, deviendront des soutiens indispensables au fur et à mesure de son expérience d’isolement. Pas à pas, Paolo Cognetti, découvre son environnement, le cycle des saisons, la faune et la flore, la dureté de la vie montagnarde, l’apprentissage de la solitude. Il se rend compte finalement que la solitude est difficile à supporter, qu’il a tout simplement besoin du genre humain pour avancer: Un demi aveu d’échec mais amené par l’auteur avec une telle honnêteté et une telle modestie que le lecteur ne peut être que touché par cette « déclaration ».


Avec Le garçon sauvage, Paolo Cognetti, apporte un nouveau souffle sur la scène littéraire italienne. Je ne pense pas trop m’avancer en déclarant que c’est un auteur qu’il faudra suivre de très près! Pour preuve, le succès récent de son nouvel ouvrage, Les huits montagnes qu’il me tarde de découvrir aussi! Récit touchant, humble, honnête et poétique, qui exhale un parfum de fraîcheur, de liberté et d’amour. Pour rajouter une touche d’émotion à votre lecture, écoutez Suonatore Jones de Fabrizio de André (chanson évoquée dans le récit), l’une des plus belles chansons du répertoire de ce grand poète italien malheureusement disparu…

JessicaDubreucq
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le 2 oct. 2017

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