Le Haut Seigneur- Yes! (Critique des trois tomes)

Je fais la critique des trois tomes en même temps.


La trilogie du magicien noir est une trilogie intéressante. Extrêmement banale, mais suffisamment accrocheuse pour me motiver à dévorer les trois tomes en une après-midi.


[NB: exceptionnellement, compte-tenu de la taille de ma critique, je ne ferai pas de résumé de la trilogie et je passe directement à l'analyse]


L'un de ses points forts est incontestablement ses personnages. Dépeints par petites touches, ils suivent une belle évolution tout au long de la trilogie. On finit par s'attacher à eux. On n'est pas dans l'histoire d'amour plaquée forcée du préquelle, là, à une ou deux exceptions près, tout s'enchaine et s'articule avec fluidité. Sonea, de gamine impertinente des rues, devient une jeune femme mure et courageuse, Ceryni gagne également en maturité et en responsabilité, Dannyl finit par trouver son identité et même Lorlen et Rothen, des personnages pourtant secondaires, ont également leur petite évolution.
Bon, le seul problème c'est que les autres personnages secondaires sont en contrepartie à peine esquissés. Takan, Vinara, Balkan, Regin... Ce sont des personnages qui ont une fonction purement utilitaire et c'est un peu dommage, j'aurais bien aimé en savoir davantage sur eux.


Mention spéciale au personnage d'Akkarin, la clé de la trilogie. C'est un personnage complexe, qui peut se considérer à plusieurs niveaux. Le premier niveau est celui de Sonea: Sonea, personnage manichéen par essence (ce qui n'enlève rien à son charme), ne considère que deux possibilités: Akkarin est blanc ou noir. Et de fait, étant donné que la majeure partie de la trilogie est racontée à travers les yeux de Sonea, on se laisse facilement happer par ce premier niveau en oubliant le deuxième niveau, celui de Lorlen: blanc ou noir, Akkarin est de toute façon un héros complexe, non conventionnel. Il aurait pu se "conventionnaliser" si l'auteur nous avait laissé pénétrer la pensée d'Akkarin, ce ne sera pas le cas. A chaque fois ou presque que l'auteur nous parle d'Akkarin, il est vu au travers des yeux des autres (Sonea, Lorlen, Rothen...). Du coup, il est très difficile pour le lecteur de se positionner par rapport à lui. Est-il coupable, innocent...? Pour un même acte, plusieurs lectures sont possibles, et il est impossible de savoir laquelle est la bonne. Et de fait, jusqu'à la fin, le tour de force de l'auteur réside dans la superposition des lectures. En témoigne la scène finale où l'on se laisse emporter par celle de Sonea, mais à y réfléchir il peut exister deux ou trois autres possibilités sur le plan symbolique qui interrogent sérieusement sur son degré d'innocence ou de culpabilité. Je n'aurais pas aimé être jury à son procès.


L'autre point fort à mon sens, c'est l'approche de certains thèmes comme la trahison, la confiance et l'identité. En un mot, la manière dont Lorlen, Rothen, Sonea et la Guilde se positionnent par rapport à Akkarin et Rothen par rapport à Sonea (je mets de côté Dannyl, qui suit son propre parcours initiatique tout en restant toutefois dans ces thèmes). La question clé étant ici "sur quoi se base la confiance?" qui débouche sur la question auxiliaire "comment nait le sentiment de trahison?". Et l'auteur a su développer ces thèmes avec suffisamment de finesse pour qu'on se pose réellement ces questions.


Bon, évidemment, après tant de points forts suivent les points faibles. Et il y en a quelques uns, malheureusement.


-Une écriture sommaire, un vocabulaire réduit, un style très simple, des descriptions réduites à leur plus simple expression, ce n'est clairement pas du Balzac. Ou même du Robin Hobb. Comme le dirait ma prof de latin: "ce n'est pas avec ce livre que vous apprendrez de nouveaux mots". Mais c'est efficace et ça fonctionne quand même.


-Un premier tome trop longuet, la fuite de Sonea dans toutes les rues d'Imardin est certes amusante, mais on a envie de dire à l'auteur "accélérez, on connait déjà le dénouement de cette fuite, passons aux choses sérieuses"


-Une fin du tome 2 qui manque de subtilité. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous influencer, vous comprendrez peut-être en le lisant.


-Dans le tome 3, la facilité du désert sachakanien. Pour parodier Voltaire (et je m'excuse de la médiocrité de ce pastiche):


L’autre jour au fond d’un désert,
Homme et femme se retrouvèrent
Que croyez-vous qu’il arriva ?
Ce fut l'amour qui triompha.


Bref, tout ça pour dire que forcément, dès lors qu'un homme et une femme sont seuls en plein désert, peu importe leurs sentiments au début, on devine tous comment ça se termine. Il aurait été plus intéressant je pense de montrer cette évolution à Imardin, surtout qu'il y aurait eu pas mal de péripéties à imaginer.


-Le personnage de Rothen, le double raté de Dakon du préquelle. Autant j'ai beaucoup apprécié le personnage de Dakon, autant celui de Rothen me convainc beaucoup moins. On retrouve toujours le personnage limité par ses qualités (cf ma critique du préquelle), mais autant dans le préquelle Dakon est, à cause de ses limitations, destiné à rester un personnage secondaire, autant dans la trilogie Rothen ne sait pas rester à sa place et tente toujours de redevenir personnage principal. A un moment donné, l'auteur aurait dû faire un choix: soit Rothen est un personnage principal et traité en tant que tel (psychologie plus poussée, "débridage" progressif des limitations, rôle réel au lieu du rôle d'adjuvant), soit Rothen est un personnage secondaire et dans ce cas il reste à sa place et se contente du rôle d'adjuvant au lieu d'avoir ses moments de gloire solo. Et je ne parle même pas de la fin, qui ne colle absolument pas avec les limites du personnage que l'auteur a voulu imposer depuis le début de la trilogie. Autant Dakon était maitrisé jusqu'à la fin, autant Rothen, personnage mi principal mi secondaire qui ne sait pas où se situer est du coup complètement bancal, c'est dommage.


-L'épilogue, complètement raté à mon goût. C'est quoi ces histoires de robes blanches? Je veux dire, sérieusement? Et l'enfant miracle qui arrive comme un cheveu sur la soupe? Autant l'auteur avait gardé une certaine cohérence dans la tonalité de son oeuvre, autant cet épilogue est complètement incongru. C'est ce que j'appelle le syndrome du "tout est bien", cette fichue manie qu'ont certains auteurs à faire un épilogue apaisant voire positif pour quitter en paix les personnages avec lesquels ils ont vécu pendant plusieurs tomes. Autant ça se peut se justifier dans les fanfictions parce qu'après tout, les auteurs ne sont pas des professionnels, autant dans les romans publiés c'est beaucoup moins excusable. Je n'ai rien contre les épilogues "tout est bien", attention, mais quand on veut les faire, il serait convenable de les faire correctement et ne pas briser toute la cohérence de l'oeuvre et de ses personnages en un seul chapitre.


-La fin. Alors, ça j'ai hésité à le mettre en point négatif, parce que c'est ma propre opinion. Autant j'essaye d'être un minimum objective dans mes critiques, autant là, c'est de la subjectivité pure: je n'ai pas aimé cette fin. Je parle ici de la scène finale, pas de l'épilogue. Je veux dire, objectivement rien ne me permet de dire que c'est une mauvaise fin. Elle est cohérente avec l'ensemble du récit et des caractères des personnages, elle est relativement bien décrite, les émotions sont bien présentes, bref, objectivement ce n'est pas une mauvaise fin. Juste, je ne l'ai pas aimée. Je n'ai pas aimé l'ironie de l'auteur (je ne dois pas avoir le même humour qu'elle) et je n'ai pas aimé ce qu'elle a fait. La superposition des lectures dont je parlais plus haut est certes très intéressante, mais je crois que pour cette scène finale j'aurais aimé n'avoir qu'une seule lecture possible, afin de comprendre pourquoi l'auteur a fait le choix de cette scène parmi tant de possibilités.


Bref, pour résumer: une trilogie banale sur le plan de l'intrigue, mais qui possède quelques particularités intéressantes qui font son originalité. Les défauts sont bien présents, mais la perfection n'étant pas de ce monde, je me suis contentée d'apprécier cette petite trilogie comme il se doit: sur mon canapé avec chips à volonté. Et je dois dire que l'après-midi fut agréable.

Luevana
8
Écrit par

Créée

le 1 nov. 2016

Critique lue 368 fois

1 commentaire

Luevana

Écrit par

Critique lue 368 fois

1

D'autres avis sur Le Haut Seigneur

Le Haut Seigneur
Dehlya
9

Critique de Le Haut Seigneur par Dehlya

En ouvrant le livre, je me suis dit, enfin, ce troisième et dernier tome de la trilogie en mains...je vais avoir le fin-mot de toute cette histoire, connaître enfin les motivations du...

le 5 oct. 2010

2 j'aime

Le Haut Seigneur
choin
7

Enfin !!!

On quitte enfin le nid tranquille et sécurisant de la Guilde pour entrer dans un contexte plus compliquer avec de l’affrontement, des révélations, de l’action ! Franchement il était temps que ça...

le 23 juin 2015

1 j'aime

Le Haut Seigneur
smalink
8

Le tiers gagnant de la trilogie du magicien noir

Enfin, les choses se précipitent. Tout s'accélère au niveau du scénario, la magie noir devient la thématique principale. On y voit quelle n'est finalement peut être pas si démoniaque. Les...

le 5 déc. 2011

1 j'aime

Du même critique

Instinct
Luevana
3

Une recette de cuisine

Aujourd'hui, je vais vous raconter comment réaliser une tarte de série américaine facile. Ingrédients : - Plusieurs boites de scenario mal ficelés - Deux cuillers à soupe d'incohérences - Trois...

le 28 sept. 2019

4 j'aime

1

La Chronique des Bridgerton
Luevana
5

Laisse l'épine, cueille la rose [Saison 1 - Sans spoils]

Oui, à choisir, Haendel est quand même plus approprié que Offenbach quand on écrit une série qui se passe en 1813. Car c'est une série qui se veut l'adaptation d'une saga de 9 volumes de Julia Quinn,...

le 5 janv. 2021

3 j'aime

Sans aucun remords
Luevana
8

Peu font la guerre, mais tous ont des blessures [Critique sans spoils]

Sixième ouvrage écrit par Tom Clancy mais premier dans l'ordre de la série Jack Ryan, Sans aucun remords met à l'honneur John Clark, un ex membre des forces spéciales de la marine américaine,...

le 15 nov. 2020

1 j'aime