Le Journal de Jean Hamburger

Lecture intéressante qui est étonnamment d'actualité. Entre une mise en garde contre l’émergence des pseudo-sciences, le pouvoir des médias sur les consciences, et une philosophie avertie posant les bases de la méthode scientifique, il y a de quoi ravir les esprits scientifiques à la recherche d’un récit atypique.

Dans Le Journal d’Harvey — Les aventures d'un médecin des rois qui bouleversa la médecine, Jean Hamburger imagine ce qu’aurait pu contenir le diary de William Harvey, un médecin du XVIIe à qui on attribue la découverte de la circulation sanguine et du rôle du cœur. Divisé en de nombreuses entrées journalières, le récit est éclatant de détails historiques, et la plume de l’auteur s’efface très rapidement devant celle de William Harvey qui couche sa vie et ses pensées sur le papier.
On applaudira d’emblée le travail de recherche énorme de l’auteur, pour retranscrire le plus fidèlement possible à la fois les dires, les actions, mais également les pensées les plus intimes de ce médecin (même si certains passages transpirent le vécu et les préoccupations de l'auteur). Harvey est un personnage intéressant et multiple, qui livre des anecdotes à caractère médical — en général pour illustrer à quel point il se détache des enseignements traditionnels erronés. En cette époque naît progressivement la méthode scientifique avec le doute comme pierre angulaire ainsi que la primauté de l’expérimentation, l’auteur saisit adroitement et avec fine justesse les mots menant une réflexion à l’entre-deux, représentatif de cette méthode balbutiante. Ainsi, Harvey se permettra des paragraphes libérateurs de la science, jusqu’alors prisonnière du carcan des Anciens.
Mais dans son journal notre médecin produira également des analyses politiques pas très finaudes. En effet, personnage pro-royaliste à la limite du tête-à-claque, Harvey nous narre régulièrement les péripéties du roi d’Angleterre (Charles Ier) emprisonné par le nouveau pouvoir parlementaire dirigé par Cromwell que notre médecin méprise au plus haut point. Son amour pour le Roi devient presque un running gag, sans en être un.

Cet ouvrage, dont on conseille la lecture aux étudiants en médecine, aborde des sujets d’ordre médico-scientifique assez divers :
• La circulation du sang dans les artères et les veines, grâce aux contractions du cœur. Harvey brise les codes traditionnels en défendant, preuves à l’appui, son modèle circulaire du réseau sanguin.
• Le système nerveux et le rôle des nerfs, tout en se permettant quelques attaques au vinaigre contre Descartes.
• La génération des individus, allant du devenir du sperme jusque les premières étapes de l’embryologie. Ses études se basent surtout sur le développement des œufs. Harvey en profite également pour livrer ses observations sur l’accouchement et les règles.
• Des questionnements intéressants sur la fin de vie du patient, et sur le bien-fondé de l’euthanasie. Sur ce point, Harvey en est un partisan ; il gardera pour lui-même (et donnera à certains de ses patients) des préparations d’opium pour se donner la mort.
• De nombreux cas intéressants de maladies encore incomprises à l’époque ; la plupart étant des occurrences d’hystéries interprétées comme la manifestation de sorcières.

En bref, une autobiographie-fiction hallucinante de détails historiques et partisane d’une “renaissance de la science” au sortir du Moyen Âge. Malheureusement peut-être un peu trop de détails, faisant que le personnage d’Harvey se perd facilement dans de nombreux sujets bariolés : politique, arts, histoire des Anciens, religions, théâtre, autres biographies, …