"Le Navire de Bois" est un livre hallucinant, une plongée onirique et fantastique dans les soutes labyrinthiques d'un vaisseau de bois qui vogue sur un océan inconnu en route vers on ne sait où, transportant on ne sait quoi. A bord, un équipage angoissé au bord de la mutinerie, une jeune fille qui deviendra victime de l'étrange bateau, un amoureux tourmenté qui se fera détective de l'absurde, un armateur invisible, un capitaine absent, un cuisinier hystérique, un charpentier nu, et un mystérieux fonctionnaire au rôle énigmatqiue de porteur des clés.... Cet éco-système improbable est traversé de rumeurs, de meurtres, de larmes, et le lecteur prend en pleine figure toutes sortes de confessions paranoïaques, de conversations hallucinées, de sentiments d'une noirceur effarante, une longue litanie foutraque des faiblesses de notre Humanité.


J'ai eu du mal avec ce livre au début, surpris que j'étais par le vocabulaire sérieux et daté du premier chapitre, ses phrases courtes, son exposition elliptique et le côté terre-à-terre de la narration. Mais comment ne pas être séduit quand soudain les amoureux découvrent sous le lit de la jeune fille un tunnel profond...(on est dans un bateau !) Le livre quitte très vite le réalisme pour aborder un univers presque gothique, fait d'ombres fantomatiques, de signes inquiétants, de serrures magiques, où le mystère d'une disparition impossible rend tout le monde affolé et hystérique... Le style construit d'incessantes digressions et associations d'images, souvent violentes, qui rendent la description des simples faits et gestes de l'équipage presque épique (et parfois ridicule...) . Et là, une fois ce roller-coaster mis en route, je dois dire qu'on lit avec délectation...


Ce n'est pas bien folichon ,ce qui se révèle au long du voyage. Les personnages sont tous fuyants, menteurs, manipulateurs, larmoyants, agressifs, ils se courtisent et se trahissent (même les jeunes amants), s'insultent et se réconcilient, au cours d'un récit qui fait la part belle à l'angoisse de la mort annoncée et à la fascination de la puanteur et de la décomposition. J'exagère à peine en disant que la putréfaction est au centre de l'énigme (un récit dans le récit est une éprouvante illustration de la pénible quète d'un homme pour pourrir vivant, littéralement....)


Le navire de bois est dans son ensemble une série de conversations / rencontres entre des humains apeurés, affolés, exigeant des explications pour cette cargaison mortuaire qui les accompagne, pour la disparition de cette Femme qu'ils désirent tous, pour l'impossible géographie de leur navire. Inéluctabilité de la Mort, Amour introuvable, Menace étatique, la Guerre qui vient (un appareillage électrique se charge de cela, ainsi qu'un mystérieux navire de guerre), le monde de Hans Henny Jahnn est d'un symbolisme, noir, très noir. Quelque part dans ce navire un être invisible (l'armateur) tire peut-être les ficelles, figure introuvable de Dieu ou du Malin, peut-être. Baudelaire vient à l'esprit, mais aussi Kafka, pour les touches d'humour ici où là qui ferment soudain certains paragraphes...


Il n'y a aucun métal sur le navire de bois, car il s'agit de ne pas perturber les flux magnétiques. L'humanité est ici brut de brut, sans sa technologie, une tribu presque, à l'adulation facile, à la méfiance encore plus facile, vivant la peur au ventre, en route vers nulle part. On se souviendra de l'expression pascalienne: "Nous sommes embarqués"...
Un livre un peu difficile , mais qui, s'il capte votre attention , vous tiendra jusqu'à son final apocalyptique... Je recommande (prudemment ) au lecteur / à la lectrice aventureux/se.

nostromo
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le 22 mars 2018

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nostromo

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