Jean Patrick Manchette a eu plusieurs vies. Il fut écrivain, traducteur, chroniqueur littéraire, critique cinéma, scénariste, dialoguiste, adaptateur et accessoirement passionné par la bande dessinée, les échecs et l'extrême gauche. L'étendue de sa palette est impressionnante, terrassante même. Fauché à l'âge précoce de 52 ans, Manchette semble pourtant avoir rempli une demi-douzaine d'existences sur ce créneau. Jusque dans la mort, l'esprit de synthèse lui collait à la peau.
C'est d'ailleurs la caractéristique qui revient à tous les coups quand on parle de son œuvre, emblème du néo-polar français. Placé sous l'influence béhavioriste d'un Dashiell Hammett, l'artiste du stylo plume dégraisse au maximum ses intrigues - descriptions ténues, psychologie quasi-absente - pour ne conserver que les faits et gestes de ses personnages. Le petit bleu de la côte Ouest prendra même de vitesse le lecteur habitué à ce style. Narrateur omniscient s'il en est, Jean Patrick Manchette aime laisser un angle mort pour ne jamais laisser une chance à son auditoire de sombrer dans l'inactivité. Un très bon point. Qui n'était pas forcément donné attendu que l'expédient n'a rien d'original (un cadre et père de famille poursuivi par deux tueurs). L'inattendu provient de ces moments suspendus où Georges erre dans un monde qu'il ne semble plus appréhender de la même façon. Mis bout à bout, ces moments dispersés un peu partout sur les 190 pages achèvent de livrer une vision aussi inquiétante sur ce monde libéral en boucle qui déraille que sur son personnage principal hagard.
Cet aspect retourne littéralement les à-priori autour de l'approche à vif, qui jouerait trop l'esbroufe au détriment de l'esprit. Comme l'ont démontré Hammett, Charles Williams, Richard Stark (Donald Westlake) ou Elmore Leonard, Manchette prouve que l'âme du genre repose là-dessus. Toutefois, certains contours ou bouleversements de l'intrigue m'ont semblé trop invraisemblables ou étrangement introduits (et cumulés) pour conserver l'enthousiasme du début à la fin. Il ne s'agit pas d'une limite imposée par ce style radical, mais probablement d'une volonté excessive de le ciseler au maximum; là où ses pairs faisaient tenir le tout sur 200-250 pages. Il ne manquait donc pas grand chose pour arriver à un classique, selon moi. Mais le plus dur est fait, Jean Patrick Manchette est un nom que je retiendrai.