Petit roman de la collection Deuzio de la maison Alice, "Le poids de la couleur rose" vient faire écho à sa sœur "Le poids des seins", qui est pour sa part un album jeunesse documentaire sur le même sujet, écrit et illustré par la même autrice.


Dans cette histoire somme toute courte, ponctuée d'images grandement symboliques, vous aurez deviné au titre que l'enjeu principal est la féminité.


Être femme, même aujourd'hui, comporte une dimension de risque. Risque pour sa sécurité, pour son intégrité, le tout encore soumit à des conventions étriqués et contraignantes, souvent dualistes ou ambivalente, du à des millénaire de domination patriarcale et de dévalorisation du genre féminin dans moult sphères de la vie. Bien que la situation ait favorablement évolué pour le "sexe rose" dans certains pays riches et industrialisés, notamment sur le plan des droits, du travail et de l'intellectualité, reste que sur certains autres plans, comme le rapport corporel, la violence sexuelle et l'affirmation, le changement reste lent et laborieux. Certains comportements restent "tolérés", disons. Dans ce petit livre destiné aux jeunes ados, on aborde certaines de ces plans.


Rosalie est en sixième année, la dernière avant le secondaire, et comme la plupart des jeunes de son âge , elle aborde la puberté avec une certaine anxiété. Une crainte qui prend une tournure néfaste quand elle vit une rencontre avec un certain Lambert, plus âgé, et ses deux copains. D'emblée, dans le roman, nous sommes témoins de la scène: il lui offre des bonbons en gelée, elle tend la main, il met le sac hors de sa portée et baisse des culottes, exposant ses organes génitaux en disant "j'ai un meilleur bonbon pour toi". Honte, tristesse, incompréhension, crainte sont au lot des émotions vécues par Rosalie, marquée par l'évènement. Ce dernier va la suivre presque toute l'année et avec raison: c'est une agression. Elle le vit exactement comme une agression, un trauma, et cela entrave même l'harmonie de son développement. À cela va s'ajouter des propos déplacés " tu caches quoi sous ton manteau?" ( en parlant de ses attributs féminins) et même un attouchement sur un de ses seins naissants. Depuis, Rosalie a du mal à faire la part des choses, elle vit avec un malaise récurrent, a du mal à faire confiance aux garçons, a honte d'en parler, craint les changement de son corps, craint également son entrée au secondaire. En pleine adolescence, elle se sent mal-à-l'aise avec ce corps qui change et qui lui vaut des considérations qu'elle n'a pas voulu. Des consiédrations entièrement liées à son genre. Contrairement à sa meilleure amie, qui semble fière de son corps et qui aime ce nouveau jeu de drague que les garçons et filles se font en sixième, Rosalie se sent encore enfant, n'a pas envie d'exposer son corps avec des bikinis et craint les garçons ( depuis l'épisode avec Lambert). Nous suivons ses questionnements, ses craintes, ses rencontres ( notamment avec le gentil Mattéo), son rapport au autres qui se modifie et ses inquiétudes face à l'avenir.


On retrouve pleins de choses intéressantes à souligner dans ce court roman. On remarque que, loin de certains romans qui poussent la dualité homme-femme beaucoup trop loin, ici, ce souvent dans les petits gestes que se profilent les comportements inadéquats, mais qui restent toxiques pour nos filles. Par exemple, le monsieur de la construction qui siffle les femmes qui passent sur le trottoir. Par exemple: la tendance de Rosalie a mettre tous les gars dans le même paquet. Tous les ados ne sont pas des Lambert, après tout, mais je peux aussi comprendre qu'elle craint que ce soit le cas. On a pas besoin de tomber dans de gros clichés d'hommes macho et de femmes soumises, on est passé par là, ce n,est plus trop actuel. L'actualité est bien plus dans ces comportements et remarques inappropriées, dans le manque d'éducation et dans la persistance des stéréotypes de genre ( à noter que la littérature jeunesse moderne en a encore beaucoup [trop] et c'est surprenant de voir à quel point ce sont aussi les plus vendus. Un petit éveil des consciences a faire ici, les adultes?)


Bref! Vous serez content(e)s d'apprendre que Rosalie va cheminer, qu'elle fera front à Lambert, qu'elle va trouver un exutoire en écrivant des poèmes, qu'elle constatera que sa mère est une personne forte, affirmée et qui se montre présente pour sa fille. Un pilier, un modèle, un exemple. Elle aura une prise de conscience sur la longue bataille des femmes pour gagner en reconnaissance, en droits, en dignité et en affirmation. Là est le noeud de la guerre: ne pas se taire, ne pas baisser la tête et croire en sa propre valeur.


Je souligne que c'est bien sur valable pour les hommes dans d'autres domaines, et j'apprécie que cette nuance ait été apportée dans le roman, surtout grâce à la mère de Rosalie. Il ne faut pas oublier que les hommes aussi peuvent être féministes, on parle de "l'égalité entre les genres", après tout. Tous les hommes ne doivent pas être condamnés pour la bêtise et la misogynie d'une poignée d'hommes rétrogrades et incultes.
Ne faisons pas la bêtise de tomber dans le même traitement que nos ancêtres ont vécus. Bon, ça y est, j'extrapole encore....


Tout ça pour dire que j'ai bien aimé ce petit roman qui aborde avec une certaine douceur un sujet quelque peu épineux. Les images sont douces et symboliques, les poèmes tantôt touchants, tantôt amusants. C'est pas facile de grandir, pour personne, mais c'est la présence de figures d'attachement sécures...pardon, la présence de personnes avec qui nous avons un bon lien, sur lesquelles nous pouvons être en confiance et être nous-même, qui font la différence. Que ce soit les parents, les amis ou même des adultes de confiance, comme les intervenants, les profs, etc. On retrouve cette idée de prendre le temps de se connaitre, d'apprivoiser ce corps adulte en émergence, de se positionner quand à ce que les autres peuvent faire ou non par rapport à ce corps.


Enfin, on retrouve l'espoir. "Y en a pas d'facile" quand on est ado, mais, c'est temporaire, c,est normal de vivre des inconforts - tout change en nous, physiquement et psychiquement - mais c'est important de ne pas minimiser la portée ces changements et de garder en tête que ce n'est pas aux autres de définir ce qui est bien pour soi, mais à soi-même. Avouez que c,est pleins de beaux messages!


C'est donc un petit roman à grande portée, qui tout en restant accessible et facile à lire, ouvre pleins de portes et de pistes de réflexions. Il a donc un coté "philo", social et même générationnel. j'ai beaucoup aimé le final, avec ces deux amies prêtent à se supporter dans le changements à venir - et face aux Lambert à venir, sans doute.


À voir!


Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans. Oh, et à ceux et celles qui pourrait trouver le sujet des agressions trop "hâtives" pour les 10-12 ans, gardez en tête que ça arrive même aux enfants d'âge préscolaire. Il n'est jamais trop tôt pour parler des limites corporelles et du respect de l'intimité des autres. Mon avis, bien sur.

Shaynning

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