Je suis en cours de lecture de ce bref roman. Je le prends et m'en délaisse, pour y revenir, ne sachant que penser de ces vies parallèles de Spinoza et Rosenberg. Du second, je ne connaissais rien sinon l'antisémitisme. Du premier, je connais plus des premières années, pour avoir lu l'Ethique et commencé l'excellente et touffue biographie sociologique de Nadler. Et le moins que je puisse en dire est que je ne reconnais pas mon Spinoza dans la description de ce rationaliste adolescent à la nuque quelque peu raide que nous en laisse Yalom.

La difficulté de Spinoza ne tient pas en son système proprement dit, mais bien à ce qui échappe au système et à la discursivité dans la dernière partie de l'Ethique. Il y a dans Spinoza deux points de silence, le premier étant Dieu, le second, en miroir, la Béatitude. Les deux témoignent d'une expérience qui ne doit pas grand chose à une méditation rationnelle à la Descartes, mais possiblement beaucoup à la façon juive des kabbalistes - nonobstant le discrédit en lequel le gars Baruch en portait les divagations. Yalom ramène le philosophe à une forme compréhensible pour notre époque, ce qui me laisse bien souvent sur ma faim : je m'ennuie à découvrir ce trajet propret dans la liberté de pensée, là où l'oeuvre qui nous parvient n'est pas celle d'un rationaliste de la fin du XXè siècle mais de la rencontre de deux traditions de l'esprit, celui des Lumières en court de constitution, volens nolens informé par celui des feux d'un mysticisme dont la vivacité est sur le déclin. Bref, si problème Spinoza il y a, le livre laisse de côté le mystère qu'est Spinoza dans l'histoire de la philosophie occidentale (ce point est sans doute à nuancer par ce qui est dit de l'ataraxie et de la béatitude en p.356, ou des thèses rationnelles et non-dualistes concernant à l'égo et l'abolition de la séparation en p. 583-586).

Je me heurte donc, ligne après ligne à cette histoire de jeune homme qu'on pourrait dire _américain_ chassé de sa community par des dévots rigoristes au nom de son refus d'en rabattre sur sa connaissance de la vérité. Et j'avoue que cela m'agace plus souvent qu'à mon tour. D'autant que la description des sentiments n'échappe à l'ultime niaiserie de l'exotisme historique (transposer à d'autres époques les clichés sentimentaux de la nôtre) que parce que l'auteur, psychiatre, parvient ) leur donner un verni d'épaisseur - qui nous en apprend presque autant sur lui que sur ses personnages.

La construction en deux fils narratifs parallèles, assez classique, tisse de façon relativement pataude une double chronologie, trouvant quelques répons maladroits, notamment dans les relations thérapeutiques que les deux hommes trouvent en quelques seconds rôles ad hoc - inventions de l'auteur et images limpides de sa pratique d'un counseiling que, je crois, je n'aimerais guère à titre personnel. Synopsis d'un film qui pourrait avoir son intérêt, cela fait un roman maladroit.Les courts chapitres sont rédigés de façon claire et n'enferment guère plus d'une séquence narrative ("creative" writing, quand tu les tiens...). Le style désespère parfois - les dialogues, surtout, prétextes pour l'auteur à présenter des idées qu'un paragraphe ou un essai aurait plus fonctionnellement recueillies, ou à proposer au lecteur une observation sur le caractère de tel personnage, qu'une didascalie eût mieux présenté ! Je garde cependant le fil de la lecture - cela se lit. On y trouvera probablement une première introduction aux deux vies, qui appelle réflexions et compléments. Mais rien ici ne me semble inoubliable.
Kliban
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le 30 avr. 2013

Modifiée

le 1 mai 2013

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Kliban

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