Version frustrante d’une œuvre mythique

Si aujourd’hui le Silmarillon est considéré comme un chef-d’œuvre incontournable, sa forme si atypique a pour le moins déboussolé lors de sa parution dans les années 70. En effet, le Silmarillon n’est pas tant un roman, comme l’était le Seigneur des Anneaux, mais un récit mythologique couvrant plusieurs millénaires d’histoire en seulement 400 pages. L’histoire a beau être passionnante, fascinante et sublime, force est de constater que ce format de 400 pages la dessert énormement. Et c’est bien dommage, car on aurait pu raconter ce récit de façon bien meilleure. Et je dirais même : J.R.R Tolkien lui-même l’avait déjà par le passé bien mieux raconté. Mais dans d’autres livres.


Mais revenons un peu sur la création de ce bouquin. Le Silmarillon est sans doute l’œuvre la plus importante écrite par Tolkien. Plus importante encore, d’un certain point de vue, que son cultissime Seigneur des Anneaux. Cet énorme récit nous raconte les origines de la Terre du Milieu, la création du monde par les Dieux et les premières guerres contre Morgoth, le premier Seigneur des Ténèbres. Il s’agit d’un gigantesque récit épique se déroulant sur plusieurs générations de héros, tels Fingolfin le Noldor, les légendaires Beren et Lúhien, les tragiques Húrin et Nienor et leur cousin Húor qui se battra dans la cité de Gondolin. Bref, c’est gros, c’est dense, c’est extrêmement ambitieux.


Tellement ambitieux que J.R.R. Tolkien n’en publiera jamais une version complète de son vivant. Aucune des très nombreuses versions de sa mythologie qu’il a écrite sera jugée suffisamment qualitative à ses yeux pour être présentée a un éditeur. Nous disposons aujourd’hui, grâce au titanesque travail de son fils Christopher Tolkien, d’un très grand nombre de ces versions. C’est simple, la quasi-totalité des œuvres de Tolkien prenant place dans l’univers du Seigneur des Anneaux et publiées à titre posthume sont soit des versions alternatives du Silmarillon,soit des récits issus du Silmarillon mais publiés dans d’autres livres en version longue. Le Livre des Contes Perdus, les Contes et Légendes Inachevées, les Lais de Bélériande, les Enfants de Húrin, la Chute de Gondolin... tout ces livres sont en quelques sortes des autres versions de la mythologie de Tolkien. Le Silmarillon n’en est qu’une version parmi d’autres. Son principal mérite est d’être la première version complète de cette mythologie à avoir été publiée à titre posthume en 1977.


J’ai deux problèmes avec cette version. La première, c’est que c’est en quelque sorte la version officielle, réalisée à partir des textes les plus récents rédigés par Tolkien. Donc, si on veut connaître la vrai histoire, il n’y a pas le choix, il faut la lire. La seconde c’est qu’il ne s’agit pas à mon sens d’une des meilleures versions que Tolkien a écrite sur sa mythologie.


Ce n’est pas la version la plus poétique de cette histoire. Je trouve personnellement la version publiée dans Le Livre des Contes Perdues, qui constitue la première version complète de la mythologie et datant ses années 1910-1920, est bien plus belle et plus poétique (même si il s’agit clairement d’une version bêta de l’œuvre).


Et le Silmarillon n’est pas non plus la version la plus épique de cette histoire et la plus complète publiée à ce jour. Je l’ai déjà dit, le Silmarillon, c’est seulement 400 pages pour raconter des millénaires d’histoire. Du coup forcément, ça va très vite. Ainsi, la plupart des récits nous sont présentés le sont en versions super raccourcies, parfois à la limite du gros résumé. Par exemple, l’histoire de Túrin est racontée dans le Silmarillon en 50 pages. Des années plus tard, Christopher Tolkien recompilera toutes les versions écrites par’ son père de cette même histoire pour en faire un roman de 270 pages : les Enfants de Húrin. Dans le Silmarillon on a un résumé un peu plat de l’épopée de Húrin et Nienor. Dans les Enfants de Húrin on en fait un roman épique et tragique où on est investi dans le destin des personnages et dans leurs chutes. Et cet exemple n’est pas isolé : Beren et Luthien, la Chute de Gondolin, tout ces romans sont des versions complètes de courts chapitres issus du Silmarillon. Même le Livre des Contes Perdus, pourtant version bêta de la mythologie de Tolkien, est deux fois plus long que le Silmarillon.


Si le Seigneur des Anneaux avait initialement été publié dans le Silmarillon, il n’aurait duré que 50 pages, pour raconter la même histoire. C’est frustrant, c’est trop rapide. Je pense que le Silmarillon a été publié beaucoup trop tôt, et qu’en reprenant et compilant les écrits de J.R.R. Tolkien (tâche qui avait déjà été fait une première fois pour ce livre) on aurait pu donner un ouvrage bien meilleur et bien plus complet. Il aurait été quatre fois plus gros, aurait peut-être dû paraître en plusieurs volumes, mais il aurait été une œuvre exceptionnelle. J’espère qu’un jour on aura une version longue (et complète) du Silmarillon, qui elle sera géniale. Mais en attendant, nous devrons nous contenter de cette version tronquée et résumée, et se reporter sur d’autres romans pour avoir les versions intégrales de textes dont on aura déjà lu le résumé dans ce Silmarillon.

DragZo
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le 11 nov. 2019

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