Et si les méchants avaient raison? ou méchants d'hier et héros de demain?
Le méchant est celui qui s'oppose au héros depuis la nuit des temps. Il est l'obstacle que doit surmonter ce même héros. Sans lui, il n'y a pas d'histoire. Il peut prendre différents aspects, souvent maléfiques. Ainsi,il peuple les récits effrayants de notre enfance. Mais parfois, c'est l'inverse qui arrive. Le méchant peut apparaître plus séduisant que le héros et son combat peut sembler juste. Ainsi, il apparaît souvent que le combat du méchant est progressiste face à un "héros", défenseur d'une société oppressive.
Le "héros" est dans une position défensive, de réaction face à un "méchant" qui dénonce une injustice. Il a une position conservatrice et réactionnaire. Il représente un monde où le statu quo doit prédominer. Le changement ne peut venir que du "méchant". Or, le héros décrédibilise son combat pour rendre le monde meilleur. En effet, on peut dire aujourd'hui que nous vivons dans un monde dystopique. "V pour Vendetta" est inspiré des années Thatcher, de sa réaction conservatrice. Alan Moore y montre clairement que le "méchant" est le véritable héros. "V" est monstrueux, terrifiant, sanguinaire... mais c'est le véritable héros.
Et si les méchants avaient raison?
Le syndrome Magneto est un essai sur les méchants dans la pop culture paru en 2023 Au diable vauvert et écrit par Benjamin Patinaud, alias Bolchegeek pour sa chaine Youtube. L'auteur fait montre d'une grande érudition pour développer sa thèse qui est de dire que le "méchant" dans la pop culture est rarement motivé par l'intérêt personnel et le profit, à l'inverse d'un Bruce Wayne, alias Batman. Il a écrit ce livre à la suite d'une vidéo publiée sur sa chaîne Youtube. Son constat était qu'une partie du public affirmait que désormais les "méchants" posaient de vrais questions, qu'ils avaient raison sur des questions comme l'écologie, le féminisme, la lutte des classes...
Il s'évertue à montrer, à partir de l'étymologie des termes de méchant et de vilain, qu'il y a un jugement moral mais également social. Il ne faut pas oublier que le terme de vilain désigne au préalable ceux attachés à une ferme, une villa. C'est donc celui qui travaille. A la base, le vilain est de basse extraction. On l'associe également à des tares physique et mentale, à la laideur, à la saleté... Quant au terme méchant, en vieux français, c'est celui qui a "mé chu", c'est à dire qui est mal tombé.
Benjamin Patinaud arrive à rendre son essai attrayant malgré le fait que je ne suis pas du tout un adepte de la pop culture liée au super héros. Ces récits sont souvent trop manichéens à mon goût Les rôles y sont souvent clairement distribués. On voit qui est le gentil et qui est le méchant au premier regard ou à la première écoute: nom, couleur, aspect physique. Bien souvent, le "héros" rétablit la situation initiale en faisant fi des questions sociétales posées par le "méchant". Il décrédibilise le combat légitime du "méchant" en démontrant que ce dernier va trop loin. Or, Bruce Wayne serait plus utile en payant correctement ses salariés que de dépenser des sommes pharaoniques dans sa batmobile. Par son arrogance et son mépris de classe , il se rapproche des politiciens comme Trump et la "Bête immonde" et son "ceux qui ne sont rien".
Il n'en était pas de même dans les récits de la mythologie grecque où les rôles n'étaient pas aussi définis. Ce constat est peut-être à l'image d'une société actuelle où les antagonismes sont exacerbés. Il faut ajouter que les archétypes des comics books sont destinés à un lectorat masculin, adolescent... nés dans les années 1930. Les cultures populaires sont l'émanation de la société industrielle. Toutefois, elles sont peut-être en train d'évoluer pour remettre en question la distribution des rôles.
"Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film", Alfred Hitchcock
Le méchant définit le héros. On veut voir comment le héros réagit à cet élément perturbateur défini par Vladimir Propp en 1928. Il y a des méchants emblématiques rentrés dans la mythologie récente comme Dark Vador. En prenant comme maître étalon le personne de Magneto, la nemésis des x-men, il démontre que le "méchant" a souvent la volonté de rendre le monde meilleur, de lutter contre un système oppressif. Il ne veut pas simplement détruire le monde pour son profit personnel mais le changer, combattre les injustices. Il paraît ainsi sympathique auprès d'une partie du public. Comme souvent, le méchant ne naît pas de rien. Il a un passé. Il ne faut pas oublier que Magneto est un survivant de la shoah. Arrivé en Amérique, pays dit de la liberté et de la tolérance, il se voit encore contraint de lutter pour sa survie face à des hommes qui suivent les ordres, qui font leur "métier".
Méchants d'hier, héros de demain?
Les X-men ont été créés dans le contexte de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, dans les années 1960. Le sujet des x-men est l'exclusion de personnes à cause de leurs pouvoirs. Dans le contexte donc de la lutte des Afro-américains pour revendiquer leurs droits, la comparaison a été rapidement faite avec les x-men, avec d'un côté le modéré Xavier - Martin Luther King, et de l'autre Malcolm X - Magneto, le radical. Les x-men sont devenus au fil du temps de la métaphore de nombreux combats, dont celui de la minorité LGBT... mais également de Nelson Mandela en Afrique du sud contre l'Apartheid. Or, il ne faut pas oublier que ce dernier, comme Martin Luther King, a été perçu pendant longtemps comme un terroriste en Occident. N'est-ce pas l'infâme Thatcher qui pour le coup est une vraie méchante. Les Etats Unis considéraient l'ANC comme un mouvement terroriste. Mandela est allé en prison pour des sabotages qu'il n'a jamais renié car on ne lui laissait plus le choix. Il a été alors perçu comme étant le méchant. Or, il avait raison. Mandela est devenu Xavier , chef d'Etat et prix Nobel de la paix alors qu'il était auparavant Magneto. Il en est de même pour Martin Luther King que l'Histoire a rendu plus consensuel. Le regard change et pour une fois en bien.