Un président jupitérien


Réclamé après chaque victoire électorale ou chaque crise politique par Marine Le Pen appelant à un « retour au peuple », l'appel à la dissolution résonne depuis de longues années comme un mantra au sein du Rassemblement national : il nous dit d'abord l'affaissement de l'exécutif, qui plie devant une revendication de Marine Le Pen et de son parti. Mais surtout, l'annonce de la dissolution nous éclaire sur le rapport d'Emmanuel Macron à la décision politique.


Le processus même d'élaboration de la décision s'est déployé de manière informelle, en marge des partenaires institués. Selon le journal "Le Monde", qui a retracé la chronologie ayant abouti à l'annonce de la dissolution, « une petite cellule » d'une dizaine de personnes, composée d'anciens ou d'actuels conseillers (entre autres : Alexis Kohler, Bruno Roger-Petit, Jonathan Guémas), mais aussi d'un ministre (Gérald Darmanin), a travaillé dans le plus grand secret pendant plusieurs mois à ce scénario hasardeux.


Ce tempo précipité, cette politique du fait accompli et ces circuits alternatifs de prise de décision nous renseignent sur le rapport « jupitérien » d'Emmanuel Macron à la politique [* Une « pratique jupitérienne » qu'il avait lui-même théorisée dans son ouvrage "Révolution", publié avant sa candidature à la présidentielle de 2017]. Ils alourdissent le dossier, déjà amplement documenté et commenté, d'une forte verticalisation de la fonction présidentielle par Emmanuel Macron, en confirmant la « désintermédiation » dans l'exercice du pouvoir et une pratique « moins solitaire qu'informalisée » de celui-ci. De manière symptomatique, cette façon de procéder fait écho à des occurrences précédentes. En effet, la gestion par Emmanuel Macron de crises majeures comme celles des Gilets jaunes, du Covid-19 ou des retraites était déjà venue prendre en défaut sa promesse initiale d'un « en même temps » jupitérien et participatif. [* On se souviendra qu'Emmanuel Macron, à ses débuts, se réclamait assez classiquement d'une monarchie présidentielle, l'amarrant aux fondamentaux de la pratique présidentielle sous la Ve République, mais proclamait « en même temps » sa confiance dans les ressources de l'expertise citoyenne, de la transversalité organisationnelle ou encore de la prise de parole directe].


En pleine contestation des Gilets jaunes et alors que Laurent Berger, le numéro 1 de la CFDT, multiplie auprès de l'exécutif les propositions pour sortir de la crise et placer les corps intermédiaires au centre de l'échiquier, Emmanuel Macron reste sourd à ses appels. Pour ce dernier, la transformation économique, sociale et politique ne passe pas par les syndicats, qui appartiennent selon lui à «l'ancien monde ». Ni non plus nécessairement par la fonction publique d'État, ainsi que la crise sanitaire en a fourni un exemple flagrant : des entités ad hoc (comme le Conseil scientifique Covid-19) et des cabinets privés (notamment le cabinet McKinsey) [* Dont l'activité pendant le Covid a été mise en cause pendant la campagne présidentielle de 2022, ce qui avait entraîné l'ouverture de deux enquêtes par le Parquet national financier.] ayant été installés au poste de pilotage de la politique médicale et vaccinale, parfois même à la place du cabinet du ministre. Cette tendance à l'externalisation des missions, vue à tort comme une marque de modernité administrative, a d'ailleurs été dénoncée vigoureusement par la Cour des comptes dans un rapport rendu public le 10 juillet 2023. Enfin, on se souvient que lors de la crise des retraites, trois mois après un mouvement social massif, un parcours législatif chaotique et une opinion publique vent debout [* Un sondage Ifop du 15 janvier 2023 pour "L'Humanité" indique que 68 % des Français sont opposés à ce projet de réforme. L'opposition est particulièrement forte chez les moins de 35 ans, les classes populaires et intermédiaires et les chômeurs, mais plus basse chez les retraités.], la loi est validée par le Conseil constitutionnel le 14 avril 2023 et promulguée le jour même. Le président est resté déterminé et inflexible. Ainsi, à chacune de ces occasions, la tension au sein du paradoxal attelage verticalité-horizontalité conduit par Emmanuel Macron s'est résolue au profit de la seule verticalité et d'un fonctionnement essentiellement top-down.


[pp. 101 à 103]

Sycorax
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le 18 juin 2025

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