Si la parenté avec Le moine de Lewis vient forcément à l'esprit du lecteur et si tous les codes du roman gothique sont ici respectés à la lettre (moine lubrique, jeune fille innocente traquée, lieux inquiétants, récit à tiroirs, malédiction familiale, inceste, et j'en passe), ce roman n'en porte pas moins la marque de fabrique très particulière de l'auteur.


En effet, à travers l'histoire du frère Médard, victime d'une malédiction familiale et tiraillé toute sa vie durant entre Dieu et Diable, ce sont à la fois le style foisonnant d'E.T.A Hoffmann et les motifs qu'il se plaît à travailler qui rendent ce roman à la fois si riche et si indigeste - qu'on me pardonne l'emploi de ce terme - par moments.


Prenons uniquement la thématique du double : non contente de se révéler omniprésente dans le roman, elle est aussi protéiforme, à un point que le lecteur en perd presque la tête : car non seulement plusieurs des personnages sont les sosies les uns des autres, mais, dans la généalogie de Frère Médard, chaque enfant porte le prénom de son père. Mais Hoffmann va plus loin que ça : Médard ne trouve pas en son frère jumeau (qu'il ne connaît pas) uniquement son double physique ; leur âme également est jumelle, si bien que ce que conçoit l'un en pensée est mis en pratique par l'autre. Sans compter que, de père en fils, chaque personnage répète les mêmes crimes innommables. Je dois d'ailleurs avouer qu'arrivée à un certain point du livre, j'ai sorti une feuille de papier et un stylo pour reconstituer le généalogie des principales familles du roman, tellement j'avais du mal à m'y retrouver.


Mais ne nous y trompons pas : cette complexité est bien entendu voulue par Hoffmann. Comme l'âme de Frère Médard se désagrège, se décompose, se démultiplie, le récit prend de multiples détours pour perdre le lecteur comme il mène son personnage sur le chemin de la perdition. Ajoutez à cela un étrange personnage qui s'appelle, c'est selon, Belcampo ou Schönfeld, et qui lance des tirades obscures dignes de Hamlet : vous comprendrez que la lecture des Élixirs du diable n'est pas de tout repos.


J'avoue que la seconde partie m'a parfois ennuyée et que la fin, surtout, très portée sur la pénitence de Médard et très axée sur un discours religieux, m'a fatiguée. Il m'a surtout semblé que le format du roman convenait moins bien à Hoffmann que ce lui des nouvelles. Les Élixirs du diable ne valent pas, à mon sens, L'homme au sable - véritable chef-d'oeuvre de l'auteur.

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le 6 sept. 2015

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