Les Esclaves de l'Éternité nous offre un nouveau tandem d'auteurs ! Il semble que l'écriture de livres-jeux se prête bien à la collaboration en binôme. En l'occurrence, il s'agit d'une collaboration des plus étroites, puisque Paul Mason et Steve Williams ont écrit ensemble l'intégralité du livre, phrase par phrase, sur le même ordinateur. Comme d'autres contributeurs à la série, ils y ont participé avant même d'écrire leur premier livre, puisqu'ils avaient contribué au fanzine Warlock et publié The Riddling Reaver, une campagne en quatre scénarios pour le jeu de rôles Fighting Fantasy.


C'est assez logiquement que Mason et Williams choisissent de reprendre le cadre qu'ils avaient créé dans The Riddling Reaver, à savoir la ville de Kallamère, dans le sud d'Allansia. On y trouvera donc plein d'allusions dans ce livre-ci, qui passeront complètement au-dessus de la tête des lecteurs francophones dans la mesure où The Riddling Reaver n'a jamais été traduit. Mais ce n'est pas bien grave : l'intrigue du livre se tient très bien toute seule. Elle tourne autour d'une menace inconnue pesant sur le royaume de Kallamère, déjà affaibli par d'incessants conflits avec ses voisins. La souveraine, Lady Carolina, fait donc appel à tous les aventuriers de passage pour tenter d'éclaircir la situation et défendre la ville. Évidemment, VOUS êtes de la partie.


Les Esclaves de l'Éternité est sans doute l'un des livres les plus bizarres de la série, mais il est difficile de mettre le doigt sur ce qui constitue exactement son étrangeté. La construction générale y contribue certainement : au début du livre, personne ne sait exactement ce qui se passe, et ce n'est qu'au fil de l'histoire (et des tentatives) qu'il est possible de se faire une idée plus ou moins précise de ce qui menace Kallamère et de ce qu'il faut faire pour sauver la ville. L'impression d'avancer dans le brouillard est constante, et plus d'une péripétie laissera le lecteur perplexe, à se demander s'il a fait ou non le bon choix – ou pire, s'il y avait même un bon choix à faire. D'autant que ces péripéties sont souvent reliées de manière un peu bancale, une caractéristique pas forcément voulue par les auteurs mais qui ajoute à cette sensation globale de malaise. Cette atmosphère générale est renforcée par d'innombrables petites touches, qu'il s'agisse des objets bizarres qui viennent garnir votre équipement (un diffuseur de parfum !) ou de l'onomastique d'inspiration grecque qui prédomine (Paul Mason lisait beaucoup de trucs sur le gnosticisme à l'époque, ceci explique cela). Dommage que les illustrations de Bob Harvey nuisent un peu à cet aspect du livre : même si elles sont toujours d'une qualité irréprochable, elles sont trop ancrées dans le concret pour un livre aussi bizarre.


Le livre ne vous prendra jamais par la main, c'est à vous de prendre vos responsabilités et de faire attention à ce qui se passe, en particulier lorsqu'il s'agira de démasquer le traître qui menace Kallamère de l'intérieur. Il vous faudra sûrement plus d'une tentative pour venir à bout de cette aventure, pas tellement à cause des jets de dés (on est dans la moyenne basse de la série de ce point de vue-là), mais plutôt parce que tomber sur le bon chemin du premier coup serait un coup de bol monstrueux. Mais chaque nouvelle lecture se nourrit des précédentes, et c'est un régal de découvrir les nouveaux chemins ouverts par un choix différent, tout autant que les paragraphes de mort inventifs concoctés par le duo Mason-Williams (le 182 est devenu légendaire à juste titre, mais le 336 est lui aussi assez grandiose).


Et au bout de tout ça, vous êtes récompensés par une fin intelligente, de celles (trop rares dans la série) qui vous font réfléchir sur la différence entre victoire et défaite, différence bien maigre parfois. Pour un premier livre, Les Esclaves de l'Éternité est une réussite : même s'il est un peu bancal, c'est un livre qui fait réfléchir, et c'est toujours agréable de ne pas être pris pour le dernier des crétins par un Défis Fantastiques (n'est-ce pas, monsieur Ian L. ?).

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le 19 févr. 2017

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Tídwald

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