Pas en pleine forme mais toujours en vie.

Les portes se sont ouvertes et les humains se ruent pour coloniser un millier de planètes. La première d’entre elles, Ilus, est baptisée dans le sang et la destruction. Des colons indépendants venus chercher une nouvelle vie se dressent avec leurs faibles moyens contre la puissance écrasante d’un vaisseau appartenant à une compagnie gigantesque ; celle-ci est bien décidée à exploiter les riches gisements de minerais, et des scientifiques innocents périssent alors qu’ils tentaient simplement d’étudier et de comprendre ce monde nouveau. James Holden et son équipage sont désignés pour rétablir la paix et le bon sens. Mais plus il se penche sur la question, plus Holden a le sentiment que cette mission est vouée à l’échec depuis le début…


On retrouve les personnages et l’univers de cette série avec plaisir et beaucoup d’impatience, après un tome 3 décevant mais un final qui ouvrait des possibilités immenses avec des portails donnant accès à plus de 1.300 nouvelles planètes. On s’est attaché, au fil des romans, aux personnages récurrents, et le retour de certains protagonistes croisés précédemment est dans l’ensemble une réussite : Havelock surtout, qui nous vaut d’excellents moments avec Naomi, et Basia en père rebelle. L’univers reste toujours aussi intéressant et cohérent, avec un thème général de plus en plus affirmé : même face à des bouleversements d’ampleur galactique, même face à des manifestations d’intelligences extraterrestres beaucoup plus évoluées, même confrontée à des mystères qui la touchent directement et durablement, l’humanité reste engoncée dans ses conflits internes, ses divisions, son appât du gain et ses préjugés. L’ensemble est propice à des ressorts narratifs puissants, comme le destin des concepteurs de la protomolécule, les bouleversements géopolitiques induits par l’ouverture de l’Anneau, etc…


Toutes ces qualités sont malheureusement tempérées par des défauts nombreux et persistants.


Tout d’abord, la qualité pitoyable de l’édition et/ou de la traduction et/ou de l’écriture : ponctuation aléatoire, fautes de frappes, d’orthographe et de grammaire, phrases incompréhensibles, inversions des noms des personnages, sans compter les répétitions insupportables. Après vingt ou trente fois, on a bien compris que les Ceinturiens faisaient un geste de la main équivalent à un haussement d’épaules, comme on a bien compris qu’à proximité de l’orbite d’Uranus, le soleil n’est qu’une étoile très brillante, et on a bien assimilé également qu’Alex avait un accent traînant. Ça n’est vraiment plus nécessaire de le mentionner à chaque fois.


Ensuite, on a coutume de dire que pour faire une bonne histoire, il faut de bons méchants. On est très loin du compte. Comme dans le tome précédent, à peu près tous les méchants sont d’infâmes psychopathes qui, au fil du récit, deviennent de plus en plus fous, au point de vouloir la mort de tout le monde, eux y compris. Pourquoi ? Parce que ce sont de méchants psychopathes, pardi. L’exécution brutale d’un rebelle par le terrible chef de la sécurité Murtry pourrait surprendre et choquer, si seulement Ashford n’avait pas fait exactement la même chose, de la même manière et au même moment, dans le tome précédent. On se demande quand même comment il est possible qu’autant de fous furieux occupent des postes à si hautes responsabilités. Et comme ils sont tous caricaturaux, méchants par nature, ils font tous la même chose, suivant les mêmes délires.


D’une manière générale, il ne faut pas beaucoup s’interroger sur les motivation des personnages. La plupart du temps, ils ne sont là que pour faire avancer l’histoire, et tant pis si leurs actions n’ont aucun sens (le personnage consternant d’Elvi Okoye, ici, en est un très bon exemple).


Cela a notamment comme conséquence que l’histoire passe, en général, à côté des aspects les plus potentiellement passionnants de l’univers. Par exemple, quand un des scientifiques explique que la disposition des gisements de lithium de la planète Ilus n’est pas naturelle et que la planète semble avoir été créée de manière artificielle, personne ne semble juger que cette information soit importante, même si tous les personnages la reçoivent. Le fait que les six lunes de la planète soient équidistantes ne les émeut pas plus que ça non plus. Pour le lecteur, par contre, tous les effets de « surprise » qui suivront tomberont complètement à plat.


Il y a aussi un très sérieux problème de rythme. Les personnages sont toujours en introspection profonde, quoi qu’il se passe autour d’eux, et nous font partager le fruit de leurs pensées philosophiques qui, bien souvent, sont du niveau d’un élève de sixième primaire. Ainsi, il n’est pas rare que, pendant une fusillade, un des protagonistes sortant d’un ascenseur entame une réflexion technique sur l’évolution du système hydraulique à traves les âges. Ou qu’un autre, pendant une course poursuite, aperçoive un champignon et nous livre deux pages de réflexion sur les rôles du parasitisme biotrophe dans l’écosystème de la planète, à moins que cela lui rappelle la délicieuse soupe aux champignons de sa tante Jeannine, qu’il ne reverra probablement pas parce que des méchants psychopathes ont décidé de tuer tout le monde sur la planète (ou de tuer la tante Jeannine en question, rien n’arrête les psychopathes). On ajoutera aussi que les auteurs maîtrisent assez peu la structure du récit. Il ne se passe absolument rien sur Ilus pendant 300 pages, et que deux chapitres plus loin, les personnages tentent de survivre à un tsunami et une tempête géante, une invasion de limaces tueuses et une épidémie de cécité. Va falloir apprendre à doser un peu, les gars.


On n’oublie pas les habituels multiples « emprunts » à d’autres œuvres, et les ellipses et divers trous béants de l’histoire que le lecteur doit combler par lui-même (la fin de Miller est en grande partie incompréhensible et le restera).


Moins mauvais que le précédent, ce 4e tome souffre des défauts habituels de la série mais conserve suffisamment de qualités pour que ça reste plaisant et qu’on entame le tome suivant. Loin d’être une série marquante de la SF, The Expanse reste une chouette collection de bouquins de plage, très agréables à condition de ne pas trop se poser de questions et de ne pas être trop regardant sur la qualité littéraire.


James S.A. Corey : Les Feux de Cibola – 2014


Originalité : 2/5. Toujours pas, non.


Lisibilité : 4/5. Un peu plus vivant et moins lourdingue.


Diversité : 3/5. Toujours le même récit à plusieurs voix, et une histoire parallèle sur Ilus et en orbite.


Modernité : 2/5. Toujours pas non plus.


Cohérence : 4/5. Il faut vraiment faire quelque chose pour les vilains.


Moyenne : 6/10.


A conseiller si vous êtes fan des précédents…

OliDup
6
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Créée

le 20 août 2023

Critique lue 2 fois

OliDup

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