Incontournable Mai 2022


Bien qu'il fut écrit en 1940, il aura fallut attendre 1983 pour que "Die schwarzen brüder" soit traduit en français. Il a été écrit par Liza Tetzner, une allemande ayant fuit le régime nazi avec son époux, en 1947, et obtenu la citoyenneté suisse en 1948. Il y eut également une réédition française en 2005 par la maison École des Loisirs, mais la présente édition nous est proposée par la maison Joie de Lire, dans la Collection "Encrage". Ce roman s'inspire d'une sombre époque où de jeunes enfants et presque ados furent l'objet d'un trafic d'enfant pour en faire des ramoneurs dans de grandes villes, à la fin du 19e siècle. Dans le roman, il est question plus précisément des petits ramoneurs suisses italiens, du canton du Tessin ( Suisse). C'est donc un roman inspiré de faits réels et destiné au lectorat jeunesse depuis ses débuts.


Giorgio vit avec sa famille dans la vallée de Val Verzasca et s'il n'est pas scolarisé, c'est qu'il travail avec sa mère à couper du foin sur des pentes raides. Un jour, un homme balafré entre dans le village, avec la pensée que les habitants de ce village pauvre ne devraient pas rechigner à vendre leurs garçons. Quand il demande au père de Giorgio, cependant, ce dernier refuse de vendre son enfant. Mais l'hiver cruel et la mauvaise récolte rendent la vie bien difficile. À cela s'ajoute un accident qui nécessite des frais médicaux pour la mère de Giorgio. le père décide donc, l'année d'après, de céder son fils de presque 13 ans à cet homme, qui a même baissé son prix. 20 francs. Sur la route périlleuse qui doit le mener à Locarno où l'attend le balafré, Giorgio rencontre Alfredo, avec qui il casse la croute. Ils se jurent une amitié et une loyauté à vie. À Locarno, les deux enfants font une traversée secrète jusqu'à Cannobio, qui coutera la vie au 18 autres enfants, qui se sont noyés alors qu'une tempête les ont fait chavirer. Giorgio et Alfredo sauvent le balafré, qui les mènera néanmoins à leur destination finale: Milan. Vendus près de quatre fois la somme donnée à leurs parents, les deux enfants vont commencer à travailler en tant que Ramoneurs, s'exposant aux brulures, à la suie et aux accidents. Certains deviennent malades, leurs yeux et leurs poumons sont malmenés. Giorgio intègre une famille, travaillant pour le père, s'exposant au perfide Anselmo, le fils, qui ne rate pas une occasion de rire de lui, le faire passer pour un voleur et même entrainer son petit gang contre lui. Mais à travers la malnutrition, les coups de la Mère d'Anselmo, les journées éreintantes et sa santé mise à rude épreuve, Giorgio pourra compter sur Angeletta, la fille du couple, d'une grande gentillesse et d'une grande empathie, ainsi qu'un groupe secret dont Alfredo est le chef, les Frères Noirs, unis dans l'adversité.


Le trafic d'enfant est un phénomène qui n'a guère épargné les pays et les époques à travers l'histoire. Je pense au sort des enfants vendus grâce aux trains des Orphelins aux États-Unis, aux enfants immigrants forcés de faire du vol dans l'Angleterre victorienne, aux enfants chinois exploités par leur propre pays. Ici, comme bien souvent, il est étroitement li à la pauvreté et au fait que les droits de l'Enfant n'existent pas.


Le quotidien de ces enfants ramoneurs était sordide. Si leur travail était dangereux et dommageable pour la santé comme le furent les mines de charbon pour les mineurs, ils vivaient en outre de la maltraitance physique, de la négligence, une fréquente restriction alimentaire et étaient le sujet de moqueries et d'ostracisation du fait de leur peau salit par la suie, devenue noire. Des enfants qui ne recevaient aucune affection et considération. Ils avaient entre 6 et 12 ans. Les instances policières de l'époque et les villes fermaient les yeux sur les "passeurs" d'enfants destinés à la location ou la vente. Bref, ce n'était pas rose.


Dans cette histoire, il y a eu tout-de-même deux petits miracles. le premier est le fait que des enfants se sont mobilisés par solidarité et pour pouvoir se défendre, en formant le groupe des "Frères noirs". le second est une personne, le médecin Castella, qui a sauvé Giorgio d'un funeste sort. À travers ce sombre tableau de personnages intéressés et malveillants, il était franchement le bienvenu.


Le roman est abondamment illustré, avec des gravures en noir et blancs, avec les fortes hachures qu'on connait de médium. La présente de pages noires combiné à ces dessins donne un air très "vintage" au roman et renforce l'impression que la suie est partout, saturant les pages comme les personnages. Et puis, le noir est fort à propos pour ces petits ramoneurs. Certaines mise en page rappelle en outre la BD avec ses cases. Les visages, avec leurs yeux froids et leur sourires sinistres, sont lugubres. le jeu de la contre-plongé des corps adultes donne une impression de hauteur et donc de pouvoir sur les personnages enfants. Il y a un travail considérable derrière ces gravures, c'est impressionnant!


Coté texte, je trouve le récit très factuel, assez loin de la psychée. Vous ne trouverez pas vraiment de figures de style, le récit est très sobre et les phrases courtes. En même temps, face à ce genre d'histoire, je me dis que le texte parle de lui-même. Pas besoin de surenchère émotive. Aussi, il date de 1940, ce texte, il a donc un style plus "littérature adulte"( dans le sens plus "universel") qu'aujourd'hui, où la littérature jeunesse a un style plus personnel, à mon sens.


Une chose est claire, nous sommes loin des sympathiques ramoneurs de Mary Poppins. Ce roman fait acte de mémoire et nous rappelle que dans un passé pas si lointain les adultes n'avaient aucuns scrupules à profiter de la misère humaine pour s'enrichir. C'est même encore le cas dans certains pays, encore aujourd'hui. Pour ceux et celles qui se le demande, la fin est heureuse, pas pour tous les personnages, mais pour Girogio oui.


Un roman différent de ce que je vois d'habitude, mais d'une grande pertinence.
Pour un lectorat du premier cycle secondaire, 13 ans+.


Pour les profs et les bibliothécaires, s'il y a un certain degré de violence, surtout dans le texte, dans les images, il n'y a qu'une scène où on voit la femme de Maitre Rossi ( le propriétaire de Giorgio) lui rafler le visage avec le plat de la mains. Somme toute, la violence n'est pas majeure, elle est sobre, tout comme le texte.

Shaynning

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