Il n'est plus trop dans mon habitude d'écrire des critiques et encore moins de livres mais face à l'avalanche d'avis dithyrambiques je me sentais dans le besoin d'expliquer ma gène concernant les jardins statuaires. Et pourtant tout commence bien avec un sympathique roman de pur exploration. Un monde onirique avec des statues qui poussent comme les choux et un héros qui observe, décrit, dialogue. Alors c'est un super contenu pour une courte nouvelle mais ça s'étend déjà beaaaaaucoup, je retrouve un peu mes angoisses de lecture encyclopédiques à la Tolkien où l'on veut tout nous expliquer, nous détailler et nous décrire pour ne plus trop faire fonctionner l'imagination. Mais soit, le style désuet sied à merveille à un monde d'un autre temps et avec un high concept original. On ne voit pas bien où va cette histoire de statues qui poussent mais encore une fois dans un recueil de nouvelle l'idée serait incroyable. Un visiteur qui est de passage et se s'en va au moment d'apprendre que les statues peuvent prendre la forme de sculpteurs/jardiniers. Fin. On reste avec mille questions en tête mais tant mieux.

Tout sauf fin. Le roman s'enlise alors dans le lore et pointe du doigt un problème essentiel qu'on ne remarque même plus tant la littérature qu'on connaît, majoritairement écrit par des messieurs nous y a habitué. Où sont les femmes (et interdiction de chanter la chanson je vous vois venir) ? Et on a un peu honte de ne pas y penser plus tôt mais on se dit qu'à l'époque de toute façon tout était masculinisé et que donc il y a bien des jardinières mais on préfère parler d'hommes. Mais non, le narrateur candide se pose la question et on lui rétorque qu'effectivement, jardinier c'est un boulot de bonhomme et que les femmes sont prisonnières de leur jolie monde de fée du logis. Aïe livre que me fais-tu ?

Pour les allergiques du wokisme il va donc falloir que je pose des balises de sécurité à partir de maintenant et surtout que j'ouvre un parallèle avec un autre livre lu récemment et un poil plus vieux : Les Mondes Inverti (1974), Christopher Priest.

Le parallèle me semble important car les deux œuvres partagent une dystopie invraisemblable, un héros masculin principal qu découvre en même temps que nous les règles du jeu et une société fondamentalement sexiste dans son fonctionnement. Là où c'est important que j'évoque ce livre, c'est que si il partait très mal dans son établissement d'une division genrée de la vie et même de la justification qui allait avec, il arrivait dans sa conclusion à au moins renverser la vapeur, nous faire apparaître le héros comme un vieux réac (pourtant si jeune) attaché à de vieilles valeurs et son ex femme comme une révolutionnaire qui a su changé le système. Et si j'ai tendance à avoir souvent mes sens en alerte sur les problématiques sexistes surtout quand on parle de vieux bouquins écrit par des mecs blancs cis il faut avouer que pour les deux œuvres que je compare, la question est centrale et donc pas juste une simple lubbie de gauchiasse qui voit tout sous un prisme biaisé. La comparaison aide d'autant plus à montrer que l'époque n'est pas une excuse à faire n'importe quoi et je tiens à préciser que Le Monde Inverti est loin d'être irréprochable (coucou les femmes exotiques qui sont des tentatrices).

Qu'un livre aient des idées régressistes est une chose, qu'il en face un élément principale en est une autre.

Revenons donc aux Jardins statuaires qui nous dévoilent au fur et à mesure le revers féminin de la pièce. La découverte se fait d'abord toujours dans la première moitié qu'on pourrait qualifié de roman d'apprentissage à son degré le plus fort puisque le narrateur ne fait que poser des questions auxquelles ont lui répond. Et si il pouvait témoigner du travail sur les statues en direct. Il est bien forcer de croire ce qu'on lui dit sur La Femme, cette créature mystérieuse qui ne sort pas de chez elle et ne touche pas aux jardins. Le premier point génant me concernant est le dit narrateur. Coquille vide comme on en voit beaucoup à l'époque qui apprend par le dialogue et possède peu de personnalité. Ici on a plutôt à faire à une cruche vide, changeant d'humeur uniquement en fonction des informations qui lui parviennent et qui ne possèdent que peu ou prou d'esprit critique. Le souci étant que ce voyageur est supposé venir d'un autre monde, avoir eu une vie et une expérience d'une société autre. How convenient que le récit est, on a plutôt un mec qui découvre la vie comme un nourrisson et n'a de toute façon pas le temps de penser à autre chose qu'aux zolies statues. Quand arrive donc la révélation sur la condition des femmes, il apprend que celles-ci restent dans leur village d'origine, que seul les hommes partent et qu'il y a certaines qui refusant tout ce système sont qualifiées de folles et deviennent des prostituées. C'est dit avec milles détours et beaucoup trop de textes mais globalement c'est ça.

Notre bon voyageur en est choqué, non pas que des femmes puissent être assignées à résidence ad vitam mais que certaines empruntent le mauvais chemin. Pour une société autant conservatrice en même temps, pas étonnant qu'il n'y ait que deux choix aussi primaires. On a donc un aubergiste qui tente de se justifier d'être un proxénète et les pauvres jardiniers qui n'ont pas trouvé d'âme sœur qui doivent quand même tirer leur coup (visiblement l'amour du rempotage ne suffit pas) et le héros toujours choqué que tout fout le camp dans une société qui devait être si idyllique (tellement chouette les hommes qui ont le droit de partir à l'aventure et les femmes qui font le linge). Je ne vais pas détailler toute les dérives annexes au fonctionnement maritale de base, l'auteur se fait suffisamment kiffer dessus mais on a donc naturellement un héros qui brûle d'envie de rencontrer les femmes pour continuer l'écriture de son guide du routard (ou accessoirement parce que la présence du seul aubergiste ne fait pas le café).

Alors oui, Les Jardins Statuaires critique d'une certaine manière une société qui n'est pas paradisiaque et qui s'appuie trop sur ses acquis sauf que ça passe par le biais d'un péquin crédule et d'un monde onirique qui n'ose pas trop s’effriter. La découverte du village des femmes est à ce titre lunaire mais il faut surtout s'attarder sur le premier contact avec le sexe opposé. Car je vous le donne en mille, après 3 lignes de dialogue que se passe t-il ? Le saexXxcs$sSse. C'est assez affligeant comment la rencontre amoureuse qui va définir le reste du récit et je l'imagine de la saga est expéditive, cliché et baigne dans un romantisme surannée. Si on a le temps de niaiser sur comment pousse les statues lors des giboulées de mai on a en revanche pas le temps de construire un personnage féminin. Là où les hommes effectuent de longes palabres, se regardent dans le blanc des yeux en fumant leur pipes et s'idolâtrent sur pas grand chose (vraiment il y a des passages presque crypto gay assez savoureux quand on voit ensuite la relation principale), les femmes parlent vite, comme des cruches et préfèrent aux mots les actions. Après donc une nuit de folles galipettes, Vanina, oublie son précédent amour pour développer une relation de dépendance affective instantané envers ce mystérieux voyageur qui avait bien prévu de ne passer qu'un soir mais est si charismatique qu'on a envie de l'épouser pour la vie. La suite du récit nous martèle l'attachement du héros pour sa bien-aimée, seule autorisée à avoir un prénom et qui lui est promise dès son retour des terres inconnues. C'est si pure et si mielleux que forcément dès la seconde femme rencontrée, il couche avec.

Vous la sentez l'arnaque ? Rien ne va avec ce deuxième personnage féminin car dès qu'il l’aperçoit la première fois c'est juste une guerrière inquiétante mais avec les totosses apparentes et donc la description devient assez centré là-dessus. On garde l'aspect quand même dangereux surtout que le voyageur manque de se faire tuer mais patapouf on apprend qu'en fait c'était un accident, que la meuf s'en veut trop, limite en pleur et finalement il y a sesKKXXXXe. Dur de ne pas lever les yeux au ciel surtout que rebelote on se fait des promesses d'on se reverra même jour même heure après juste une folle nuit. Tout le monde a le lexique d'ancêtres de 90 ans mais les sentiments sont ceux d'adolescents. Comprenez donc ma peur à la troisième interaction avec une femme, cette fois-ci une servante avec qui notre Don Juan passer la nuit. Mais soyons bénis, elle sera juste là pour se coller à lui et le réchauffer. La femme réduite à son plus pur intérêt principale, de toute façon il a déjà fait trop de promesses. Je ne détaillerais pas le reste de l'intrigue mais la 4ème figure est une fillette (qui n'aura pas de prénom non plus, drôle de manière d'humaniser les rapports sociaux) et ne vous inquiétez pas rien de touchy. Par contre on revient dans le sempiternelle rôle de la pauvre petite chose à protégez, mais qui est synonyme d'espoir d'un avenir radieux si tant est qu'elle ne fait pas le métier que vous savez.

Sur ce point de vue de la tentation de l'autre sexe, Le Monde Inverti différait légèrement sur le fait que Mann venait de quitter sa femme en pleine fin de grossesses pour escorter 3 femmes jusqu'à leur village d'origine. La relation est bien plus complexe tant avec sa femme qu'avec celles venues d'ailleurs et même si ça finit en coucherie, rien n'était offert d'avance, rien ne tourne en romantisme ridicule et on a donc envie d'y croire un peu plus. Les Jardins Statuaires datent tout de même de 1982 et non pas du siècle romantique allemand.

Alors certes l'histoire n'est pas fini mais à quoi bon ? Je juge sur pièce car on ne peut pas que se baser sur la volonté d'offrir meilleur. Déjà parce que toute l'intrigue "politique" du prince, de la révolution etc j'en avais vraiment plus rien à carrer au bout de 400 pages fastidieuses. Les dialogues sonnent tous creux, tout le monde parle pareil, les enjeux sont mous, le héros fade mais allez savoir pourquoi il devient le messie de tout un peuple qui lui a juste offert des histoires et le couvert. En on ne sait combien de siècle, aucun local ou autre voyageur n'a fait ce que lui a fait, c'est-à-dire... Ben mince j'arrive toujours pas à savoir ce qui le rend exceptionnel. De venir d'ailleurs mais on ne sait toujours pas d'où ? De poser trop de questions (les autres voyageurs prennent juste des photos ?) ?

Si je me suis beaucoup attarder sur la problématique des femmes il y a pour moi beaucoup d'autres entraves à l'appréciation du récit et le rythme en est une majeur. Je prendrais ici un autre exemple, celui de la saga de La Tour Sombre. Le tome 1 est en comparaison rachitique par rapport à ce que Stephen King offrira par la suite mais il pose des bases solides. Faisant figure d'ovni, le livre raconte les errances d'un héros mutique dans un univers inhospitalier dont on ne sait rien. Mais les flashbacks et rares rencontres sont là. La narration est économe et le tome se finit quand enfin tout va commencer, quand le paradigme se brise. Le cycle des contrées commencent si mal. C'est-à-dire qu'au lieu d'avoir une fin de tome sur un héros qui s'apprête à rencontrer le grand méchant ou même une fois que ce dernier à annoncer ces intentions on finit le livre sur la deuxième rencontre, après de longs préparatifs qui ne mènent à rien. On pense être pressés par la guerre à venir mais les 200 dernières pages brassent du vent, développent encore le lore et construisent un héros puissant, bagarreur et pas mal viril, bref pas du tout le voyageur qu'on a connu. On rentre dans les cases des classiques du genre et on se demande pourquoi toute cette première partie. Est-ce que l'auteur veut nous montrer à quel point le monde a changé le narrateur ? Mais encore une fois qu'était-il avant de venir dans ces contrées ? Cette question m'obsède tant il a l'air malléable, versatile et sans aucune personnalité. On est toujours face à une coquille vide en fin de tome mais qui désormais bande les muscles et tient tête à des hommes qui devaient surement être entrainés depuis bien plus longtemps. On a un héros de shonen qui a level-up en jardinage et tant d'autres compétences (sauf les tâches domestiques parce que faut pas déconner hein) alors qu'il n'a jamais eu aucune aspiration là-dedans.

Alors je repense au scribe dans la horde du contrevent, en fait je repense à plein de livres mais je ne pense certainement plus aux statues qui commençaient à me faire rêver au début. Et d'ailleurs elles ne seraient pas là que le tome finirait pareil, elles ne symbolisent rien, remplissent juste les pages. This is a man world. Mais un monde d'hommes où les chirurgiens n'oserait pas voir une femme.

Kaptain-Kharma
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le 2 mars 2024

Modifiée

le 2 mars 2024

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Kaptain-Kharma

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