En tant que prolétaire anarcho-communiste à tendance révolutionnaire et féministe, la lecture des Mystères d'Udolpho fut pour moi une épreuve douloureuse.


Ann Radcliffe nous conte en effet les déboires d'une famille de "gentils" riches de Gascogne dont le père, après son trépas suivant de peu celui de sa femme, envoie la fille et héroïne chez sa tante tyrannique et portée sur les vils plaisirs ostentatoires dont raffolent les « méchants » riches chez qui le bon goût fait défaut. Cette tante s’entiche d’un seigneur italien tout aussi tyrannique qui finit par cloîtrer les deux femelles dans le fameux château d’Udolpho.


La prose de l’auteur est belle et le roman regorge de longues descriptions pittoresques qui nous replacent aisément dans les paysages que parcourent nos personnages. Mais c’est là que s’arrête pour moi la liste des bonnes choses présentes dans l’ouvrage.


L’intrigue est en effet d’une platitude affligeante et elle est distillée à un rythme affreusement lent tout au long des 600 pages qui composent le volume.


L’héroïne Emilie est une gourde soumise qui passe son temps à pleurer et à manquer d’air ou s’évanouir à la moindre remarque désobligeante ou à la moindre révélation qui relève de liaisons familiales. Son immobilisme et son manque d’initiative sont affreusement horripilants et le besoin de torgnoler la bougresse fut particulièrement difficile à réprimer. D’autant plus que cette passivité est justifiée par la « bonne éducation » octroyée par son père, le modeste Saint Aubert qui possède tout de même un château et moult domestiques, éducation qui cantonne la femme à l’état de moyen de transmission de patrimoine.


Cette soumission, appelée aussi « pragmatisme » ou « dignité » par l’auteur, ne permet également pas à Emilie de soutenir jusqu’au bout le moindre récit que lui rapportent ses multiples servants ni de mener à son terme la moindre entreprise d’investigation. C’est d’ailleurs uniquement sur cette plus que chiante particularité de comportement que repose tout le mécanisme de déroulement de l’intrigue. Chaque apport de réponse est reporté, parfois 2 pages plus loin, parfois à la toute fin du livre, par des raisons aussi multiples qu’identiques à savoir par exemple : « Ma pauvre demoiselle je vois que mes mots vous font souffrir, je ne puis continuer mon récit plus longtemps » ou « ne parlons plus de ça, la simple idée de cette histoire me retourne le cœur ».


Un autre aspect présent tout au long du livre qui exacerbait mes pulsions bolcheviques fut la condescendance que la belle classe bourgeoise réserve à celle de ses servants ainsi que la charité toute chrétienne que possèdent les gentils et qui les différencie des méchants. Cette charité qui consiste à exploiter la basse classe en leur fournissant uniquement de quoi vivre car c’est tout ce à quoi un gueux aspire par nature et c’est tout ce qui suffit à contenter son existence simpliste. En effet, si les élégants maîtres se passionnent pour les œuvres de Pétrarque ou Tacite, les larbins se suffisent naturellement de quelques commérages ou bien de livres de fiction. Il me vint alors à l’esprit que si ces bourgeois fussent moins portés sur l’oisiveté et qu’ils tentassent de réaliser eux même les tâches, aussi simples qu’allumer un feu, qu’ils incombent habituellement à leurs gens, alors tous les éléments de cette histoire qui tient à des suppositions, à des non-dits et à des combines minables, n’auraient jamais pu être ne serait-ce que probables. Car c’est bien tout ce à quoi tient le récit : des riches qui se font chier et qui ne se font bander qu’en accroissant leur patrimoine par l’unique activité qu’ils soient capables d’entreprendre : chercher un héritage.


Pour ce qui est de l’aspect fantastique et terrifiant qu’était censée posséder cette pierre angulaire du genre gothique, il n’est présent qu’à de très rares et très brefs passages et est lui aussi touché par la manie qu’a Radcliffe de tout tronquer et reporter à plus tard. Comme si chaque fois qu’elle se lançait dans l’écriture d’un passage « horrifique », elle finissait par se dire « ouh lala mes pauvres lecteurs vont avoir trop peur, leur petit cœur va se casser ». Il semble d’ailleurs que ce soit plutôt « mes pauvres lectrices » étant donné les dernières phrases qu’elle écrit à destination de son lectorat. Ce passage révèle le statut qui est réservé à la femme pour Radcliffe et quels sont les sujets qui doivent et ne peuvent plaire qu’à elle. On pourra tenter d’expliquer ces idées par l’époque dans laquelle vivait Radcliffe mais quand on sait que le mouvement de pensée féministe s’y développait déjà et particulièrement en Angleterre, les excuses qu’on pourrait lui trouver sont pour moi bien vaines.


Ce livre est à mon avis à lire au second degré pour mieux apprécier les réactions risibles des personnages. Il nécessite également de s’armer d’une bonne dose de patience et pour ceux qui sont tentés de se plonger dans l’ouvrage pour le côté surnaturel, comme ce fut mon cas, de revoir grandement leurs attentes à la baisse pour éviter la déception.

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le 15 févr. 2017

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