Alors tout d'abord, hein, oui, bon, certes, c'est vrai, lire une anthologie consacrée à Noël en plein été méridional, ça manque peut-être un peu d'à-propos, et l'on pourrait même trouver, si l'on y tient, que c'est là pousser un peu loin l'esprit de contradiction.

Oui mais voilà : « l'esprit de Noël », moi, heu, franchement, non. Je serais plutôt du genre « SOS Détresse Amitié ». J'ai déjà, à la base, un problème avec les gens heureux ; alors quand en plus ils se forcent à être encore plus heureux que d'habitude au prétexte futile que « blah blah Fêtes blah blah tradition blah blah esprit de Noël blah blah », je peux vraiment pas. Quand approche la période honnie, je fais dans le blues agressif. Aussi, qu'on ne me parle pas de Noël à ce moment-là, ou je mords. Trois exceptions : 1°) si c'est pour sauter partout avec Didier Wampas, OK (non, parce qu'il faut quand même rappeler que Dider Wampas, c'est le roi, et que d'ailleurs, non, il n'a pas peur des skinheads grecs) ; 2°) si c'est pour re-re-re-re-re-[...]-re-re-re-revoir L'Étrange Noël de Monsieur Jack, d'accord ; 3°) et je fais toujours la collec' des prospectus des Petites Sœurs des Pauvres comme quoi « Joie et paix sur Terre ! », parce que ça me fait rigoler (j'ai des goûts simples). Mais c'est tout, hein, parce que après faut pas déconner. Quand même.

Alors pourquoi lire une anthologie consacrée à Noël, hein ? Je vous le demande. Eh bien, tout d'abord, parce qu'il y a du beau monde à l'affiche ; ensuite parce que, de la part de ce beau monde, et qui plus est aux Moutons électriques, on peut s'attendre à ce que, loin de verser dans le gnan-gnan niais n'y en veux pas, le fameux « esprit de Noël » soit comme qui dirait quelque peu subverti, retourné, torturé, et plus si affinités ; enfin, parce que, sans déconner, c'est un très bel objet (si si).

Au programme, pas mal de chouettes cadeaux. Jacques Baudou, qui cause quand on le lui permet de SF et toutes ces sortes de choses dans Le Monde, a tiré partie de son expérience annuelle pour le site Destination Noël de la ville de Reims, calendrier de l'Avent avec des nouvelles dedans, pour concocter un sympathique recueil, assez varié, et faisant la part belle à l'imaginaire francophone.

Mais il a aussi agrémenté son anthologie de textes publiés outre-Atlantique, où ce genre de choses est semble-t-il assez fréquent. Il n'en a cependant retenu que deux auteurs, qui fournissent trois nouvelles chacun. Commençons par le commencement, et donc avec Connie Willis : dans « Adaptation » (pp. 10-41), elle revisite sans véritable surprise mais avec entrain l'inévitable Un chant de Noël de Dickens, et c'est très correct sans être transcendant (c'est au moins émouvant, ce qui est déjà pas mal) ; bien plus intéressant cela dit, « Dans l'antre du docteur Coppelius » (pp. 140-155) est un joli cauchemar claustrophobe et kafkaïen, décrivant avec beaucoup de rythme le calvaire d'un pauvre type comme il y en a plein dans un immense magasin de jouets envahi par une horde de mômes et de types bizarres dans des costumes affligeants ; « Le Poney » (pp. 226-233), enfin, est plus gentillet et assez médiocre, mais, bon... Dans l'ensemble, j'ai tout de même préféré ces textes très fluides à ceux bien plus brouillons de James Powell : « Évasion à Gui 5 » (pp. 102-123) séduit tout d'abord avec ses pères Noël psychopathes et ses lutins enquêteurs, mais tend à s'éterniser quelque peu ; « Les Harpes d'or » (pp. 168-183) développe un cadre très intéressant (la guerre des tranchées), mais c'est à peu près tout ; enfin, « Le Père Noël a des principes » (pp. 214-225) est une petite pochade policière, amusante, sans plus...

L'intérêt est ailleurs. Par exemple chez Johan Heliot, décidément un nouvelliste talentueux, capable de faire des merveilles avec des idées d'une évidente simplicité : avec « Un contrôle de Noël » (pp. 42-55), il joue la carte de l'anti-utopie absurde à la Brazil, décrivant un monde où l'esprit de Noël et le respect des traditions sont des devoirs sanctionnés par la loi : « Soyez heureux ! » Une très bonne nouvelle, horrible et drôle. Dans un tout autre registre, on mentionnera parmi les plus belles réussites Mélanie Fazi pour « L'Arbre et les corneilles » (pp. 82-91), nouvelle rapportant avec élégance et délicatesse une intrigante tradition familiale. Autre très grande réussite, et peut-être le meilleur texte de l'anthologie : dans « La Mort des joujoux » (pp. 156-167), l'excellente Catherine Dufour revisite la genèse du père Noël à sa manière inimitable, à la fois hilarante et amère ; où l'on apprend que tout est de la faute d'une fée nymphomane... (Depuis, j'ai eu l'occasion de constater que cette nouvelle était en fait constituée d'extraits de L'Ivresse des providers.) Enfin, dernier texte vraiment remarquable, celui de Bernard Jagodzinski, « L'Étoile de Noël » (pp. 234-241), cruel et émouvant journal d'une petite fille vivant Noël dans un futur désespéré ; remarquablement juste.

En-dehors de ces quatre merveilles, on peut relever plusieurs textes très corrects mais tout de même inférieurs. Ainsi, « Noir comme neige » (pp. 56-65) de Béatrice Nicodème est longtemps un texte assez moyen, mais il est relevé au tout dernier moment par une chute véritablement glaçante. En sens inverse, Fabrice Colin débute remarquablement bien sa nouvelle intitulée « Un léger moment d'absence » (pp. 67-81), avec ses lutins révolutionnaires dépressifs, mais la conclusion est tristement plate... Xavier Mauméjean, quant à lui, nous conte dans « Du chauffage au sol considéré comme arme d'attaque » (pp. 124-139 ; oui, j'aime beaucoup ce titre ; comment avez-vous deviné ?) une enquête de saint Nicolas éminemment sherlockholmesesque ; c'est très rigolo, et plutôt bien vu, mais peut-être un peu lapidaire. David Calvo, avec « Noël dans la cathédrale de Reims » (pp. 184-193), livre un texte plus inventif formellement, avec sa succession de témoignages plus ou moins bien vus ; assez sympa, mais pas exceptionnel quand même. Enfin, « Winter Wonderland Inc. » (pp. 250-281) de Léa Silhol, la plus longue nouvelle du lot (because of que typographie), est un texte assez bancal et plus ou moins finement écrit, très drôle par endroits, franchement lourdingue à d'autres, et probablement trop long, mais ça reste très lisible.

On jettera un voile pudique sur le reste : rien d'insupportablement mauvais, mais pas mal de médiocre, aussitôt lu, aussitôt oublié...

Notons par contre que le recueil s'achève sur une postface d'André-François Ruaud, « Solstice d'hiver & merveilleux : Noël dans tous ses états » (pp. 282-304), érudite et dans l'ensemble passionnante, mais tout de même passablement bordélique, et parfois bien lapidaire.

Au final, Les Noëls électriques est une anthologie assez sympathique, qui se lit tout seul et évite de sombrer dans les pires travers du genre. C'est rafraîchissant, parfois très bon, et j'en demandais pas plus.
Nébal
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le 5 oct. 2010

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