Tout se passe lentement dans ce livre placé sous le signe de la chaleur étouffante d'un été italien. Loin de tout, loin du monde, loin de leur vie, loin du vent, loin de l'air frais, une bande d'amis passe comme chaque été ses vacances dans ce petit coin paumé d'Italie. Ils y amènent chacun leurs relations, leurs souvenirs, leurs êtres, leurs bouderies.


Eux, ce sont Ludi et Gina, le couple orageux et passionnel, toujours à se disputer, toujours à parler de rupture, toujours à s'aimer ; Diana, toujours seule et toujours observatrice ; Jacques et Sara, le couple tranquille, avec Sara qui déteste toujours autant venir ici, avec leur enfant, "l'enfant", avec aussi leur bonne, personnage truculent par son insolence tranquille et son innocence égoïste.


Dans la torpeur des lieux, tout semble ralenti, tout semble un peu effacé par les vagues de chaleur, même les drames récents : un jeune homme, non loin de là, a sauté sur une mine et ses parents restent perchés en haut de la colline à refuser de signer le document qui validera le départ du corps.


Et puis, un homme s'immisce dans cette bande d'amis. "L'homme", ce personnage étrange, sympathique, qui se glisse dans leurs conversations, l'homme avec son beau bateau, l'homme qui se marre parfois, débat avec eux, ou boit les éternels bitter campari à la terrasse de l'éternel hôtel avec l'éternel mauvais repas de poisson, et puis qui va au sempiternel bal avec eux, et puis qui joue aux boules et les accompagne aussi voir le couple en deuil, là-haut sur la colline, avec l'épicier vieilli qui débite ses anecdotes. L'homme, qui soudain a remarqué Sara, qui la trouve belle, qui, de non-dits en sous-entendus, va flirter avec elle, tranquillement, sans mensonges, sans équivoques, juste beaucoup de silences.


C'est un roman lent, et Duras se plaît à laisser percevoir cette atmosphère écrasante, cette torpeur d'un monde où les nuits sont si chaudes qu'on n'arrive pas à dormir et qu'on fait la sieste au matin, trempé de sueur. Les éclats de voix et de coeur n'en sont que plus sensibles : les disputes de Gina et Ludi, les pleurs de la vieille dame, la bonne qui râle de ne pas pouvoir aller draguer, et puis les états d'âme de Sara.


Les personnages sont simples, attachants, jamais définis par la narratrice directement - on ne sait rien de leur histoire, de leur métier, de leur passé, à peine sait-on à quoi ils ressemblent ; on les connaît par leurs paroles et leurs actions, par ce que chacun pense de l'autre à un moment donné. C'est une bande d'amis qui s'aime beaucoup, qui se connaît encore plus, de gens simples, ni héros ni méchants, juste des gens, avec leur vie et leurs doutes. Avec leurs amours à la fois stables et mouvantes, endormies et orageuses, éternelles et instantanées.


La tentation du changement s'empare de Sara l'espace d'un été, la simplicité de l'amour d'un autre, de cet homme si attachant dans sa façon de l'aimer. Soudain peut-être l'été sera différent des précédents, Sara aura vécu, essayé, erré. Mais in fine, c'est sa relation avec Jacques qui est au coeur du roman, autant que cet enfant, symbole de stabilité autant que d'innocence et de certitudes au milieu de ces adultes qui s'entremêlent.


Car malgré les idées de Sara, rien ne change. Le chapitre III finit comme le chapitre I, le chapitre IV s'ouvre sur les mêmes mots que le II. Beaucoup de permanences, de stabilité de cet univers, au milieu duquel les personnages s'agitent l'espace d'un instant. Un beau livre, lent, rythmé par les éclats de voix vite éteints et l'amertume des bitter campari au bord de l'eau. Un livre profond, simple, un livre d'amour qui est aussi histoire d'amours et de vies. Une belle surprise pour moi que ce Duras assez méconnu.


"Il n'y a pas de vacances à l'amour, dit-il, ça n'existe pas. L'amour, il faut le vivre complètement avec son ennui et tout, il n'y a pas de vacances possibles à ça."

Kabouka
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le 17 juil. 2015

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Kabouka

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