Les récits de Sébastopol sont trois nouvelles qui se déroulent pendant le Siège de cette ville durant la guerre de Crimée. Elles se passent en décembre et mai 1854 et la dernière en août de l'année suivante. Dans la première, on a chargé un haut dignitaire d'aller dans la ville assiégée de Sébastopol pour représenter le tsar et voir comment avancent les choses. On ne connait pas son grade, mais les habitants qui le croisent l'appellent "Votre Honneur". Il n'a jamais combattu, c'est pour lui une nouveauté que d'aller au front. La première chose qui l'interpèle quand il met les pieds dans la ville c'est le calme des russes, malgré la guerre ils vaquent à leurs occupations, et quelles qu'elles soient ils les font avec un sérieux et une détermination étonnante. Chacun, autant les paysans, que les mères de famille, les soldats risquant leur vie, n'ont pas une once de peur, il n'y a dans leurs yeux que l'envie de faire leur travail correctement. Le protagoniste se sent humble, car lui-même n'est pas à l'aise en ces lieux. Il doit se rendre dans un hospice, ce qui n'élève rien à sa crainte. Une fois arrivé, il croise du regard les soldats estropiés, essayant d'aller vers ceux dont la souffrance est la moins visible. Un vieillard l'invite à s'approcher, sa jambe a été amputée sous le genou le reste a été arraché par une salve française. Celui-ci lui raconte que sur le moment il n'a rien senti, que la douleur ne vient que quand il réfléchit à sa blessure. Une femme s'approche d'eux, c'est l'épouse de l'estropié, elle raconte à l'officier les détails de l'héroïsme de son mari, qui n'y voit que son devoir. Ébahi par la vaillance du russe, le visiteur ne trouve pas les mots pour exprimer son admiration. Il continue à visiter les autres soldats avec la femme qui s'est instituée son guide. C'est de plus en plus insoutenable, il finit par aller dans la salle d'opération où les blessés regardent leurs camarades subir les amputation qui les attendent, leurs yeux écarquillés d'horreur. Étrangement, sorti de là, le dignitaire se sent revigoré, heureux d'être en vie, le vacarme des fusillade ne l'atteint plus. Il doit maintenant se rendre sur le quatrième bastion, le plus meurtrier selon les échos, quand il croise une civière et qu'il interroge les porteurs sur sa provenance elle vient souvent de là bas. Le bastion est situé en face des lignes ennemies, les soldats, trop heureux de recevoir de la visite, font les fiers et bombardent l'ennemi avec enthousiasme. Les représailles ne se font pas attendre, le héros passe entre les mortiers et les éclats des canons. Un matelot n'a pas autant de chance, et succombe en demandant pardon à ses camarades. L'officier responsable du bastion explique au dignitaire qu'ils perdent sept ou huit hommes par jour de cette manière. En quittant le front, le dignitaire a changé, il est profondément ému par sa rencontre avec le peuple de Sébastopol, ce n'est pas un optimisme qui les fait avancer, mais une fierté, un sens du devoir. Ils ne recherchent pas la gloire, comme lui l'a fait en s'engageant, ils croient fermement en la victoire de la Russie, et maintenant, il est lui aussi persuadé qu'elle vaincra.


Les récits de Sébastopol sont inspirés par l'expérience de l'auteur lui même pendant cette guerre. L'ennemi français est désigné comme "lui", il est mal connu, dans un passage les russes prétendent qu'ils l'entendent crier "Allah, Allah" pendant l'assaut. Malgré le fait que beaucoup de russes parlent français la communication se fait très mal, et les nouvelles des batailles sont souvent des rumeurs sans fondement. L'auteur en garde un ressenti qui le rend profondément pacifiste, il trouve que la guerre est une hérésie .Dans le préambule à la seconde nouvelle, il propose qu'on réduise de moitié les effectifs et encore de moitié, pour arriver à n'avoir plus qu'un homme de chaque côté (en misant sur le fait que les deux armées soient de force égale), et de les faire se battre en duel, pour arriver plus rapidement à la fin de la guerre, en effet, dans un différend, que ce soient 135 000 hommes ou 15 qui meurent pour lui, le problème est le même. Le style est parfait, il ne s'appesantit pas plus que nécessaire sur les détails sanguinolents et macabres, peut être un peu trop sur l'artillerie pour la néophyte que je suis. Tolstoï pointe du doigt la vanité des hommes, qui pousse les officiers à sacrifier la vie de leurs hommes pour gagner des distinctions et de l'argent. Il n'y a pas besoin d'être un Napoléon ou un grand chef de guerre pour avoir ces problèmes là, dès que la possibilité de gloire et de richesse pointe son nez les hommes faillissent. La course au courage est aussi un grand facteur de morts sur les champs de bataille, les jeunes appelés veulent faire montre de la plus grande bravoure pour être décorés, et succombent souvent le premier jour aux ennemis. Les trois nouvelles sont chacune en leur genre intéressantes mais je n'irai pas jusqu'à dire qu'elles m'ont passionné, je n'ai pas le goût pour les scène belligérantes. La première nouvelle est écrite à la deuxième personne du pluriel ce qui donne une drôle d'impression, comme si les scènes n'étaient pas déterminées mais proposées au lecteur, comme un livre dont vous êtes le héros, c'est très original. Autant je me suis ennuyée pendant les intrigues mollassonnes et mièvres d'Anna Karénine, autant j'aurais souhaité un peu moins de bombardements et de cadavres dans ce livre-ci, j'espère trouver un roman où Tolstoï saura me combler car j'apprécie beaucoup son style et la finesse de sa psychologie.
Diothyme
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le 21 févr. 2011

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