Après la Planète Rebelle, revoir le nom de Robin Waterfield sur la couverture du vingt-troisième tome des Défis Fantastiques (enfin, pas sur la couverture, puisque les auteurs de DF autres que Jackson et Livingstone n'apparaissaient jamais sur la couverture, dans une espèce d'étrange culte de la personnalité du duo créateur de la série) aurait pu être l'annonce de quelque chose de plaisant, malgré l'affreuse illustration marronnasse en dessous. Et pourtant, si je devais résumer ce livre en un seul mot, ce serait « gâchis ». Mais vous savez comme moi que SensCritique ne valorise pas du tout les critiques trop courtes, donc je vais tâcher d'élaborer un peu.


Pour une fois, ce n'est pas d'un aventurier anonyme dont le lecteur chausse les bottes, mais rien moins que celles de Sa Majesté le roi d'Arion en personne ! En revanche, la mission qu'il s'agit d'accomplir ici aurait tout aussi bien pu l'être par un aventurier anonyme : le magicien de la cour vous envoie sus à une sorcière maléfique qui se trouve sur le point d'acquérir le machin magique qui lui permettra de conquérir le monde (bien entendu !), en l'occurrence le douzième et dernier des Sceaux qui, placés au front de Golems enchantés, fera d'eux une armée impossible à arrêter.


Rien de bouleversant à première vue, donc, d'autant que le statut royal du héros n'a pas la moindre incidence sur le déroulement de l'aventure : n'espérez pas partir avec un équipement rutilant, une escorte ou même une bourse remplie d'or, vous démarrez avec votre épée, un casque et basta. Et estimez-vous heureux qu'on vous ait laissé prendre de quoi manger dans les cuisines du palais ! Pourtant, après ce départ un peu précipité, l'aventure semble partir sur de bonnes bases, dans une veine plus « mythologique » que réaliste : les paysages et leurs habitants ont un je-ne-sais-quoi de vague et d'indistinct, et on ressent tout au long du livre une certaine distance vis-à-vis du héros, chose rare dans les livres-jeux (on pourra penser à la série des Chroniques crétoises) mais pas mauvaise pour autant. Certains épisodes témoignent d'un bel effort d'imagination, comme la chasse au Smilodon, un mini-jeu aux règles un peu boiteuses mais dont l'idée me plaît énormément, ou bien l'incendie de brousse : il est rare de devoir affronter de tels désastres naturels ! L'arc narratif d'ensemble du livre, qui voit notre héros découvrir la nature réelle des Sceaux et son rôle à lui dans tout ce micmac, est également digne d'intérêt.


Mais c'est là que le mot « gâchis » entre en scène, parce que toutes ces bonnes idées sont sous-traitées à un degré effarant. L'arc narratif dont je parlais à l'instant est mis en scène de la manière la plus maladroite qui soit : des indices sont semés çà et là, mais de manière trop allusive et aléatoire pour que le lecteur puisse ne serait-ce que comprendre qu'il s'agit d'indices. Waterfield s'en est sans doute rendu compte, puisqu'il intègre un Vieux Sage à la fin de l'aventure pour en expliquer par le menu les tenants et les aboutissants. Le livre aurait gagné à se concentrer sur ce fil narratif en évacuant certaines péripéties qui n'ont rien à voir avec le schmilblick et ne riment pas à grand-chose, comme celui de la colonie de fourmis où le manque d'à-propos de l'auteur brille de mille feux :


Le livre nous offre la possibilité de suivre une file de fourmis trésorières, dont on sait que le nid contient parfois des objets précieux. C'est une idée amusante, bien dans la veine « mythologique » dont je parlais plus haut, mais elle tombe à plat lorsqu'on en tire pour toute récompense 10 pièces d'or et une perte de points d'Endurance à cause des piqûres d'insecte : la réalité brute des pièces et des piqûres fait perdre toute sa féérie au passage.


Gâchis encore du côté de la prose. Quand bien même la veine « anti-réaliste » de Waterfield justifierait des paragraphes plus courts que la moyenne, leur style laconique n'est pas toujours excusable, en particulier le 400 qui concurrence celui du Mercenaire de l'Espace dans la catégorie « foutage de gueule aggravé », avec ses deux phrases (2 !), vingt-quatre mots (24 !!) en tout et pour tout :




  1. La victoire est à vous ! Les Masques de la Destruction ne seront pas lâchés sur le pays, tout au moins pas de votre vivant…



Robin Waterfield s'est sans doute dit qu'ils seraient rares, les lecteurs à l'atteindre, ce paragraphe final, parce que son bouquin est d'une difficulté de chien. Les chemins sont nombreux, certes, mais il n'y en a qu'un seul qui vous permettra de réunir les objets nécessaires à la victoire : les autres vous conduiront tôt ou tard à l'un des quarante-trois (43 !!! ma touche « point d'exclamation » ne va pas survivre à cette critique) paragraphes de mort que contient ce bouquin, dont certains sont tout aussi lapidaires que le 400. Et même si vous découvrez le bon chemin, à force de patience et d'obstination, la victoire n'est pas garantie pour autant… Il y a notamment cette épreuve parfaitement arbitraire qui nécessite de tirer un 11 ou un 12 sur un lancer de deux dés : vous avez onze chances sur douze de vous planter à cet endroit-là si la chance ne vous sourit pas, plus de 90 % d'échecs !


Terminons sur un bon point, ça vaut mieux pour ma tension artérielle : Russ Nicholson a fait de l'excellent boulot avec ses pinceaux, ses illustrations sont irréprochables et contribuent à l'ambiance éthérée du bouquin. Les ruines nimbées de brume du 362 constituent l'un des rares exemples de paysage dans les DF, où l'on croise plus souvent des monstres prêts à se jeter sur le lecteur. Mais encore une fois, quel gâchis que ces belles œuvres accompagnent un texte aussi médiocre.

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le 1 nov. 2015

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Tídwald

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