(Je tiens à préciser que la lecture de ce livre reste dangereuse. Il est bon de se renseigner sur le personnage qu'est Brasillach. Le rédacteur en chef de « Je suis partout ».)

Brasillach. Robert Brasillach. Un homme qui a de la réputation. Sulfureuse. Il faut le dire. l'Homme se plaît à graviter autour du danger, et à s'en approcher, le frôler, sans le toucher. Joueur avec le feu.
Se brûler, cela arrive. Ce roman est brûlant, sachez-le ! C'est une lecture risquée, mais importante dans son apport pour la compréhension de certains aspects de l'Histoire.

Avec « Les sept couleurs », Brasillach n'a pas lancé un obus stylisé dans la marre tranquille de la littérature française comme Céline avec « Voyage au bout de la nuit ». Il a jeté, mollement, presque froidement, sept cailloux. Tous avec un style classique mais juste. Imaginez-vous, un homme, atteint à peine par la maladie de la trentaine d'années, asymptomatique dans son style, qui nous donne ce cadeau empoisonné ! Le roman est original par son découpage : divisé en sept parties, Brasillach donne à chacune une forme différente. Nous commençons avec le récit pour poursuivre avec des lettres. Journal, dialogue, réflexions et documents viennent pour précéder un discours.
L'auteur veut nous prouver, avec une insolence digne du petit génie timide qui se place toujours devant lors des cours de mathématiques pour bien être vu du maître, qu'il domine chacune de ces formes.

L'oeuvre nous parle d'une histoire d'amour à l'eau de rose. Étonnant pour un roman décrit comme le ressenti d'exaltation de Brasillach pour le fascisme. Patrice et Catherine sont de jeunes tourtereaux dans le Paris des années 20. Lui, ira en Italie fasciste. Elle, va lui préférer un autre.
Un résumé peu original, dans son fond.

Le style de Brasillach, n'est quand à lui, pas plus original. On sent sa plume, certes, pleine de potentiels ! Mais elle nous apparaît immature et timide, qui surjoue. Il semble même en faire trop par moment, rendant sa lecture, par moment, lourde, complexe. L'auteur nous raconte des choses légères en usant des phrases inutilement compliquées. Et à l'inverse, il nous relate des pensées graves par des mots insignifiants.
Cette antinomie résume bien, je trouve, Robert Brasillach. Une schizophrénie morbide et naïve l'habite. Pour plusieurs raisons.
Le roman est, certes, l'histoire de Patrice et Catherine, mais aussi celle de Brasillach. Il y a une vérité autobiographique là-dedans. Un homme de trente ans, qui pense que son jeune "lui" est décédé. Dans la partie réflexion, je cite : « J'ai parlé un jour du cinéma avec un garçon (…), il m'a dit, avec une nuance de respect : « C'est vrai que vous avez connu le cinéma muet. ». Il m'a fallu longtemps pour me rendre compte que le cinéma parle aujourd'hui depuis dix ans, que je ne m'y suis pas encore habitué, et que pour un garçon, qui n'est pas allé au spectacle dans son enfance, je devais évoquer assez exactement l'ancêtre qui a assisté aux premières représentations du Théâtre Libre ou à un bal aux Tuileries. »
Pendant toute cette partie nommée « réflexions », Brasillach parle avec légèreté du passage mystique de la trentaine d'ans. Il donne des exemples simples, mais terriblement lourds de sens.
Puis dans la partie dialogue, pour une simple conversation entre des mariés de dix ans, il se force. Oui, c'est un moment clé de l'intrigue, très important dans la vie d'une femme. Mais le fait est que le style, tout en restant splendide, sonne mal pour du dialogue. C'est trop réfléchi pour être spontané. Brasillach en fait trop. C'est beaucoup trop théâtrale. Trop. Presque parodique. Est-ce voulu ? J'avoue exprimer un certain scepticisme à cela.
Autre contradiction, le vieux Robert de 30 ans reste très jeune dans ses pensées. Il raconte les promenades de Patrice et Catherine dans la partie récit et nous sentons l'auteur se livrant à coeur ouvert sur son premier amour. Ce cher Patrice à 22 ans, mais agit comme un adolescent, qui n'ose pas tenir la main de la fille à ses côtés. Il attend. Subit sa propre incapacité d'action. Brasillach semble encore sous le charme de cette innocence qu'il semble ne pas avoir perdue.
Innocent semble-t-il être lorsque qu'il nous raconte un congrès de Nuremberg. Amoureux de l'esthétisme de l'ordre nazi, de sa puissance.
Innocent semble-t-il lorsqu'il nous parle de l'Italie heureuse de son fascisme précurseur.
Innocent semble-t-il lorsqu'il nous parle de la guerre civile espagnol. Avec ces rouges diaboliques. Et ces Nationaliste si droits.
Innocent semble-t-il lorsqu'il multiplie les clichés avec une française brune, l'allemande blonde, l'espagnol et l'italien coureurs de jupons.
Il semble innocent...


« Il faut se séparer des Juifs en bloc et ne pas garder les petits ».


Voilà ce qu'à écrit Brasillach en 1942. Notamment.
La prétendue innocence de Brasillach n'est qu'en fait la manipulation cynique d'un homme intelligemment en avance sur l'idiotie de l'Homme lambda.
Les clichés de la française brune et de l'allemande blonde sont simplement là pour mieux poser au lecteur moyen sa pensée des peuples européens. Le français est brun, l'allemand est blond. Blancs tous les deux. D'Église chrétienne. C'est tout. C'est simple à comprendre, et cela favorise le nationalisme.
Son romantisme à l'égard des phalangistes espagnols, au fascisme et au nazisme endort le lecteur. Brasillach répand un gaz si agréable à inhaler pour mieux nous endormir, en espérant nous réveiller demain dans le fascisme à la française. Et si nous refusons d'absorber, c'est sous une forme de défunt que nous allons nous retrouver.
Pourtant, aussi enchanté par les totalitarismes nationalistes qu'il puisse être, l'homme semble conscient que son choix est mauvais. Il ne le dit pas directement. Nous supputons. Mais nous le sentons par moment (Est-ce pour se dédouaner en cas de jugement, plus tard ?). Catherine est amenée à choisir entre deux hommes. Brasillach, lui, hésite entre démocratie et fascisme. Il a fait le choix du feu. Il le sait, mais le fait quand même. Comme un gosse qui sait qu'il fait une bêtise, mais qui fait cependant la bêtise en question.

Brasillach a écrit des choses très belles dans ce livre. Sa plume vivante avait une encre, brune encore, qui deviendra rouge sang, funeste et cadavérique dans « Je suis partout ». Une dissonance bruyante éclate dans le plus grand des calmes : sa plume meurt à partir du moment où il donne vie à ses idées.
Comment quelqu'un à l'écriture si poétique a-t-il pu écrire tant d'horreurs par la suite ? On se pose cette question incohérente sans cesse. Mais le problème est que la question se pose dans l'autre sens : « Comment un salaud comme lui a-t-il pu écrire des choses si belles avant ? »
C'est là, le génie de Brasillach. Il a transformé la question. À travers ce roman, il nous entourloupe. Rend le fascisme beau, déguise le nauséabond en une odeur si douce. Son but premier n'était pas de déformer cette question, mais de vendre le fascisme tout en se donnant une bonne image.

« Un cimetière, c'est comme un jardin » dit-il dans son roman. Pensait-il déjà que sa plume tueuse allait être le terreau létal et idéal pour faire pousser des tombes ? Son jardin, dans sa tête, est rempli de roses blanches. Il façonne ces roses noires nationalistes en roses blanches de liberté. Oui, le fascisme lui semble beau. Il oublie les épines... Des roses éclairées par des étoiles dans le ciel de la nuit !
Des étoiles jaunes. Comme les juifs. Brasillach veut du Soleil, lui ! Ne lui parlez du croissant de Lune, si musulman. Du Soleil, il lui faut ! Ne lui parlez pas des étoiles rouges, c'est une hérésie pour lui qu'elles soient au-dessus des roses immaculées fascistes ! Parlez-lui des croix chrétiennes sur les tombes, plutôt...

Brasillach, ce poète si concret. "Plus le mensonge est gros, plus il passe" a dit Goebbels. Ils étaient fait pour s'entendre. Les gens infâmes concordent toujours entre eux. Bravo Brasillach. Exercice réussi. Hélas.
Meursault
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le 26 juil. 2014

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