L’île haute
7.6
L’île haute

livre de Valentine Goby (2022)

Ma Rencontre - Depuis l'excellent souvenir laissé par "Un Paquebot dans les Arbres", je nourrissais le désir de poursuivre ma découverte de l'œuvre de Valentine Goby. Je tournicotais régulièrement autour de "Kinderzimmer" et de "Murène" mais en vain, car sans parvenir à dépasser l'appréhension suscitée par la promesse de gravité et de lourdeur d'une pouponnière sous le 3ème Reich ou la survenance d'un handicap sévère dans l'existence d'un jeune homme. C'est alors qu'est arrivé à point nommé "L'Île Haute", le petit dernier, comme une réponse à ma double attente.

Artisanat & Patrimoine - L'écriture de Valentine Goby est cousue d'une remarquable fibre artisanale, au sens le plus noble du terme. Elle cisèle, lime et peaufine; on sent sous sa plume une exigence de soin et de précision qui apporte une forte crédibilité à la représentation du mode de vie alpestre qui lui tient de décor.

En ressuscitant avec réalisme et érudition une époque révolue, sa science du vivant et des éléments, son savoir-faire et sa gestuelle, l'âpreté du labeur mais aussi les moments de liesse et de convivialité, "L'île Haute" fait œuvre patrimoniale, comme Luc Bronner a pu le faire avec son récit de la disparation d'un village reculé des Hautes-Alpes dans "Chaudun, La Montagne Blessée" . Cet arrière-plan historique et sociologique fait aussi penser aux "Pêcheurs d'Islande" de Pierre Loti, tant la similitude est frappante entre l'océan et la haute montagne qui - en tout cas en ces temps-là - imposaient leur échelle et leurs conditions aux prétentions humaines.

Elévation & Refuge - Valentine Goby donne aussi magnifiquement corps à cette idée d'île haute servant d'exil à Vadim, devenu Vincent pour la circonstance, un petit citadin, loin de Paris, des siens et de l'étoile jaune. On l'accompagne dans cette élévation initiatique et dans sa découverte émerveillée d'un écrin grandiose et écrasant.

Comme lui, on ressent cette altitude et la vie rurale qui y a cours comme un sanctuaire où le temps s'écoulerait différemment, à l'écart du vacarme et du fracas. Même l'Occupation par les chasseurs alpins italiens n'est pas vécue comme intrusive ou menaçante. Goby s'en sert d'ailleurs très habilement, en faisant des fameuses plumes chatoyantes qui caractérisent cette unité, un objet de convoitise et de défi pour le petit garçon au cours d'un épisode narratif très réussi.

Ce Qui Fonctionne Moins - La faiblesse de ce récit tient selon moi à un déficit en incarnation. Une strate psychologique essentielle pour accéder au ressort profond des personnages - celui du héros, mais aussi de tous les acteurs de sa nouvelle vie, la petite Moinette, les nouveaux camarades, sa famille d'accueil - est manquante. Avec "Les Allumettes Suédoises" de Robert Sabatier ou "Petit Pays" de Gaël Faye, on devient au fur et à mesure de la lecture le petit Oliver et le petit Gabriel. On vit l'histoire de l'intérieur comme une expérience immersive là où "l'Île Haute" nous laisse davantage à distance, dans une posture plus spectatrice.

Goby nous fait adhérer au parcours initiatique du petit Vadim, au bénéfice de la découverte d'un nouvel environnement et de ses codes, mais elle le fait en partie au détriment d'un contre-poids intime plus nuancé, plus ambivalent. Oui Vadim grandit et s'émancipe, mais sa palette émotionnelle aurait gagné en justesse, avec des retours sur les lieux, les attaches affectives et matérielles de sa vie d'avant plus fréquents et une inquiétude pour son devenir et celui des siens plus manifeste. On en oublie presque - et c'est ce qui m'a le plus gênée - la toile de fond tragique ayant présidé à son exil, par cette impression de parenthèse enchantée, de séjour bucolique au bon air de la montagne.

Et la fibre artistique et chromatique que lui prête sa créatrice et qui se manifeste par des associations entre éléments du monde et couleurs - Paris, violet - ne compense pas cette carence et devient même au fur et à mesure, un gimmick un tantinet lassant.


Malgré cette dernière note moins élogieuse, il reste que par son exigence littéraire, son sérieux historique et sa puissance évocatrice, "L'Île Haute" et le talent de sa créatrice méritent largement que l'on chausse crampons.


Bonne lecture,

Amitiés,

Dustinette

Dustinette
7
Écrit par

Créée

le 18 nov. 2023

Critique lue 43 fois

Dustinette

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